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« Ruines » de Franck Vigroux
Corps, voix, littérature, musique électronique, arts visuels et numériques fusionnent dans Ruines, performance transdisciplinaire créée par le compositeur, artiste numérique et performer Franck Vigroux. Comme Hamlet Machine de Heiner Müller, Ruines ne propose pas de narration, mais un récit qui se déploie sur les décombres d’une histoire déchirée en lambeaux.
The Railways, lu (faut-il dire « performé »?) sur scène par son auteur, le chanteur américain Benjamin R. Miller (membre du mythique Destroy All Monsters), retrace (en anglais) l’ambiance dans une ville industrielle et portuaire en déchéance: « Les coques métalliques des navires forgées depuis une éternité, reposaient sur le sol, fenêtres éparpillées sans vergogne en un amas de crasse inutile, abandonnée, écho trempé de l’ombre luisant de pluie. »
Cette ville est Détroit. Depuis les ravages de l’ouragan Katrina et de la crise financière, un imaginaire de la décrépitude s’est développé autour de la ville principale du Michigan, comme dans le film Only Lovers Left Alive (Les Derniers Amants) de Jim Jarmusch avec Tilda Swinton. Mais Ben Miller a écrit The Railways en 1996, déjà. Il aborde l’imaginaire de la ville-fantôme à la manière de Koltès dans Quai West et voit surtout des « images de fantômes, des voix muettes » et des « créatures sauvages, maigres... » Ils apparaissent ici dans des espaces sonores et visuels apparemment sans confines.
Ruines réussit presque à se passer d’images, et de danse. Mais ce « presque » est capital. Les deux silhouettes blanchâtres qu’on devine dans le noir appartiennent à deux danseurs japonais qui peuvent ici approcher une sorte de pré-butô, leurs corps prenant des formes animales ou autrement fantomatiques. Ni ces apparitions, ni l’auteur-lecteur ne vont croiser physiquement les pas de Vigroux, présent en tant que musicien-interprète de ses propres compositions, évocatrices et mystérieuses.
L’exploit technique consiste à plonger leurs jambes dans une sorte de brouillard lumineux, suggérant par cette disparition brumeuse que leurs corps s’enlisent à la fois dans la boue et dans le « brouillard glacé » des rivages de Detroit. On y croise aussi des lignes blanches et des chiffres, qui font planer sur la non-imagerie nocturne la lointaine menace boursière, oscillation invisible des cours du Nasdaq et autres CAC40.
Thomas Hahn
Spectacle donné le 7 janvier 2016 à la MAC de Créteil, dans le cadre du festival Nemo
http://biennalenemo.arcadi.fr
Direction artistique, musique : Franck Vigroux,
Plasticienne : Félicie d’Estienne d’Orves
Vidéaste : Kurt d’Haeseleer (compagnon de route de Guy Cassiers)
Danseurs : Yuta Ishikawa et Azusa Takeuchi
Dramaturge : Michel Simonot
Sons : Carlos Duarte
Lumières : Perrine Cado
Chanteur de Détroit : Ben Miller
Tournée : voir dates dans la vidéo
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