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Ballets de Monte-Carlo, « Casse-Noisette Compagnie »

La fête est finie, les Ballets de Monte-Carlo ont célébré leurs trente ans de liberté sous le patronage bienveillant de S.A.R. la Princesse de Hanovre. Le 4 janvier, au Forum Grimaldi, Casse-Noisette Compagnie s’est terminé une dernière fois sur l’image dionysiaque d’une salle noyée sous les confettis, le plateau étant à son tour envahi de guirlandes rouges-blancs, couleurs de la principauté.

Terminé !

Les guest-stars du Bolchoï rentrent à Moscou et la troupe monégasque se repose. C’est justement la participation d’Olga Smirnova et Artem Ovcharenko qui a rendu si spéciale cette reprise du spectacle créé en 2013 pour fêter les vingt ans de Jean-Christophe Maillot en tant que directeur-chorégraphe. Le duo moscovite ajoute une dimension supplémentaire à ce millefeuille de strates chorégraphiques et historiques.

Dans Casse-Noisette Compagnie, c’est la petite Clara qui veut devenir ballerine. Sa sœur s’appelle Zoé. Celle de la princesse chorégraphique des Grimaldi s’appelle Stéphanie et défend les arts du cirque. Maillot ne l’oublie pas. Avec assurance, tendresse et ironie il revisite sa propre histoire monégasque et celle des Ballets de Monte-Carlo qu’il entremêle avec celle de la danse, jonglant finement avec le kitsch, le désuet, le rêve, la fête (et donc tout l’univers du cirque), les contes et ses propres pièces.

En quelques mots…

Quand le prince charmant, autrement dit, Casse-Noisette, fait irruption dans le studio de la Compagnie et révèle son ambition chorégraphique d’introduire un nouveau style de danse, il ne propose pas une modernité actuelle, mais un mélange de cirque d’antan et de comédie musicale très 1960/70. Et il tombe sur quelques adeptes d’un vieux ballet, dont Giselle (Marketa Pospisilova) et Albrecht (Gabriele Corrado). Le conflit éclate…

Le second acte, avec son tour du monde dansé, devient ici un voyage à travers les créations grand-format de Maillot avec les Ballets de Monte Carlo. Les contes se chevauchent et s’entremêlent, si bien qu’on peut avoir l’impression de s’y perdre. Mais dans la réalité, sur le plateau, les tableaux sont clairement séparés, très imagés et donc parfaitement lisibles. Ni les contes ni Shakespeare ne cultivent ce qu’on qualifie d’élitisme. Et Maillot de rappeler, avant le spectacle, face au public venu assister à une rencontre, le fait que si une œuvre est bien faite, l’idée de base tient en quelques mots. Sauf qu’après, la richesse des détails et des méandres fait qu’il faudrait:
 

…écrire un livre…

… ne serait-ce que sur la manière dont les histoires glissent ici l’une dans l’autre, parfois justement dans une allusion au patinage artistique. Dans cette nouvelle version de la pièce, la neige et la glace donnent l’impression d’avoir été apportées « manu filigrani » par les étoiles du Bolchoï.
En entrant dans la grande boîte pour se faire « transporter » sous une pluie de cendres dorées, notre Cendrillon (Anjara Ballestero) se transforme d’abord en Belle, ensuite en Titania (Marianna Barabas) pour devenir une Juliette jouant - aux côtés de son Roméo (Gaëtan Morlotti) - le spectacle dans le spectacle du Songe d’une nuit d’été alors que le Prince Casse-Noisette (Stéphan Bourgond) revient en Puck.

 

Bref, pendant tout ce temps, Olga Smirnova apparaît brièvement en tant que Belle, ce qui veut dire qu’on a tout bon si on la prend pour l’émanation d’un songe. Comme dans son sommeil le plus doux, la petite Clara se rêve, d’abord au Bois dormant et ensuite à Vérone, où Smirnova rencontre enfin son Roméo russe, dans une envolée romantique des plus belles. C’est l’accomplissement d’un désir de danse, mais pour y arriver, il faut pouvoir:
 

…se payer le luxe…

…d’inviter un Artem Ovcharenko du Bolchoï, juste pour un dernier tableau, évanescence romantique de Roméo et Juliette. Oui, c’est du luxe, mais incontestablement l’effet est réussi. La différence entre les interprètes « maison » et ceux de Moscou ne saurait être plus spectaculaire. Ici, les corps solides, les gestes forts et le plaisir du jeu théâtral. Là, une parfaite Sylphide et un prince tout aussi aérien, presque un couple de mouettes.

 

Ovcharenko place toute sa lévitation dans un carrousel où il ne semble plus toucher terre alors que Smirnova danse carrément dans un état second. Leur apparition paraît si irréelle que nous entrons effectivement dans le phantasme de Clara.
Quand l’angle de vue change, tout change. Ce pas de deux spectaculaire ne représente pas le Bolchoï, mais une idée du Bolchoï et finalement, n’incarne pas le kitsch des divertissements Chococlat/Café/Thé etc., mais nous permet de placer nos envies de confiserie dans une boite à outils du spectateur, malle à tiroirs qui n’est pas sans rappeler certaines astuces brechtiennes. Au bout du compte, traiter le romantisme en Gestus dramatique, c’est lui donner un éclat assumé, réfléchi et d’autant plus délicieux.
 

…mais attention:

Repêcher la féerie par la distanciation, c’est un peu préparer Clara à un futur rôle dans l’Opéra de quatre sous. Heureusement, elle ne sait pas encore qu’elle succombe à des illusions, et que les bulles ont cette fâcheuse habitude de finir par éclater. Car justement, son prince charmant de Casse-Noisette, n’est-il pas entré dans le studio de danse de la Compagnie dans cette bulle transparente, bien connue depuis le Cendrillon de Maillot ? Il n’y a que Clara pour l’ignorer. Pour l’instant elle se voit en Juliette et pourtant, la Juliette du Bolchoï permet à son Roméo de glisser à plat ventre entre ses jambes…

Maillot est un maître des allusions qu’il sait ici rendre ludiques, sans quitter la symbolique d’éveil sexuel des contes. Et si Drosselmeyer devient une fée, c’est bien un certain Jean Rouaud, conseiller à la dramaturgie, qui s’amuse à perturber la vie intime des personnages. Rouaud a livré son masterpiece en 2011 avec la relecture du Lac des Cygnes. Depuis, lui et Maillot sont inséparables.
Aussi, cette nouvelle version de Casse-Noisette Compagnie, fruit d’un mille-feuille d’adaptations et de relectures entre tapis de danse et trapèze, résume le parcours de Maillot sur le Rocher, des débuts jusqu’à sa récente collaboration avec le Bolchoï. Pour le tableau final, la scène se transforme donc en chapiteau et les danseurs, en clowns. Histoire de nous rappeler que Monaco, c’est autant une aventure de cirque que de ballet ?

 

Tout au long du premier acte, le studio de danse où se réunit la compagnie fictive constituée pour ce spectacle, est surplombé par trois photos, dont une montrant la jeune Princesse Caroline en studio de danse, à la barre, en chaussons et en attitude. Autrement dit : La danse est éphémère, une telle rencontre avec des étoiles venues d’ailleurs l’est d’avantage, mais le plus fugace, c’est l’enfance.

 

Avant toute autre chose, Casse-Noisette Compagnie (ne faudrait-il pas un « s » pour intégrer le Bolchoï ?) est une déclaration d’amour et de désir à la danse, à ses interprètes et à son public.

 

Thomas Hahn

 

 

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