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Entretien avec Petter Jacobsson
Le CCN Ballet de Lorraine présentera six pièces différentes réunies en deux programmes au Théâtre national de Chaillot du 6 au 15 janvier 2016. Une première pour Petter Jacobsson qui le dirige depuis 2011.
Danser Canal Historique : Vous présentez deux programmes du Ballet de Lorraine au Théâtre national de Chaillot, à Paris. Est-ce pour vous une étape importante ?
Petter Jacobsson : Il me semblait important de présenter la compagnie dans la diversité de notre répertoire. Je suis ravi que Didier Deschamps ait décidé de nous programmer deux semaines. Notre Centre Chorégraphique National est spécifique, avec son titre de Ballet de Lorraine, ses danseurs permanents, et l’invitation faite aux chorégraphes de créer pour lui. C’était donc l’occasion de montrer notre richesse et de présenter, dans le deuxième programme, trois générations de chorégraphes français.
DCH : Justement, comment avez-vous composé ces deux soirées ?
Petter Jacobsson : Nous arrivons avec un répertoire de six pièces, très variées, avec beaucoup de danseurs sur le plateau. D’un côté le programme , Paris, New-York, Paris, qui est une sorte de retour sur les avant-gardes avec Relâche repris des Ballets Suédois, Sounddance de Merce Cunningham qui est une sorte de clin d’œil, car Cunningham et Cage adoraient Satie et ont représenté l’avant-garde de leur époque, et enfin, une création de Noé Soulier qui est presque une lecture de ce qu’est l’avant-garde. De l’autre, trois pièces qui sont une sorte de raccourci de notre histoire récente de la danse avec Rose Variations de Mathilde Monnier avec François René Duchable au piano, Hok d’Alban Richard, et Devoted de François Chaignaud et Cecilia Bengolea. Trois pièces qui ont également un rapport fort à la musique et convoquent Beethoven, le compositeur contemporain néerlandais Louis Andriessen, et Another Look at Harmony de Philip Glass.
DCH : De tels programmes supposent des danseurs de haut niveau, et surtout, suffisamment versatiles pour passer d’une chorégraphie à l’autre…
Petter Jacobsson : Nous avons beaucoup discuté l’ordre de ce programme. Mais nos danseurs sont très professionnels, et pour eux, il est intéressant de changer de style au cours d’une même soirée, de rester concentré sur l’essentiel. Mais ce sont des pièces totalement différentes, avec des énergies différentes, dans un spectre différent. Alors, bien sûr, c’est difficile, mais c’est aussi un vrai challenge.
DCH : Relâche, créée par Picabia, Satie et les Ballets Suédois de Rolf de Maré, jamais remontée depuis 1924, est une sorte d’événement en soi…
Petter Jacobsson : Relâche a été créé à Paris, au théâtre des Champs-Élysées, soit à une ou deux stations de métro du Théâtre national de Chaillot ! C’est un clin d’œil.
Pour cette présentation à Chaillot, nous apportons même une nouveauté dans le film Entracte de René Clair, qui fait partie de Relâche. Nous avons toujours su qu’il existait plusieurs versions. Nous avions choisi celle de René Clair dans la version de 1967 mais qu’il avait coupée. Nous avons retrouvé un morceau de 13 secondes au CND où l’on voit Rolf de Maré, vêtu comme les hommes de la pièce, monter sur scène et argumenter avec Jean Börlin puis le gifler. Lors de nos recherches, on avait remarqué que certains articles en parlaient, mais nous n’avions aucune autre trace. Mais du coup, c’est une transistion qui fait sens pour le ballet.
DCH : Pensez-vous que cette pièce, influencée par Dada et par le music-hall, soit encore d’actualité aujourd’hui ?
Petter Jacobsson : Ce n’est pas une œuvre divertissante mais profondément dadaïste, créée par Picabia, Satie et les Ballets Suédois, faite pour provoquer. Aujourd’hui, c’est l’occasion pour le public de revisiter cette pièce. Le temps a passé, quel regard peut-on porter sur cette pièce historique ? Les gens ne connaissent plus les chansons que Satie a utilisées pour sa musique, et qui étaient osées pour l’époque. Leur refrain seul suffisait à les évoquer. De plus, tout est plus complexe, politiquement parlant, de nos jours. Néanmoins, la montée du Front national, nous prouve qu’il est plus nécessaire que jamais de défendre la liberté artistique. C’est le message que Picabia avait délivré en son temps. Je préfère que les gens crient plutôt qu’ils applaudissent par convenance. Et, lors de nos tournées dans certaines villes, les réactions ne se sont pas fait attendre ! Ce qui signifie pour moi que cette œuvre, bien que datant de 1924, doit être encore actuelle. Sinon, les gens ne réagiraient pas de la sorte.
DCH : Comment choisissez-vous les chorégraphes dont vous sollicitez une création pour le Ballet de Lorraine ?
Petter Jacobsson : Il faut d’abord se poser des questions en tant que travailleur dans le domaine des arts. Quelle est notre attente ? Est-ce d’être aimé ? Compris ? Supporté ? Dans notre époque de crise économique, cette problématique prend tout son relief. Je vois nombre de programmateurs ou de décideurs institutionnels se demander si l’œuvre va fonctionner auprès du public, ou si elle va permettre d’équilibrer les budgets. C’est un piège qu’il faut éviter. Mais il est difficile de ne pas se faire happer par les problèmes financiers. C’est pourquoi il faut garder sa liberté, un point de vue ouvert sur le monde. Il faut aussi savoir pourquoi on est séduit par une œuvre, ou par un chorégraphe, car il est difficile de ne pas suivre le courant et finalement, programmer d’une manière uniforme.
DCH : Vous allez également être présent au Centre National de la Danse à Pantin le 16 janvier prochain…
Petter Jacobsson : Il s’agira d’une après-midi de rencontres et de découvertes, intitulé La Fabrique, avec des extraits de répertoire, des classes pour les amateurs et les professionnels et une exposition de photos d’archive. Et même, Thomas Caley et moi danserons une pièce que nous avons créée : Access to pleasure. Je crois qu’il est nécessaire de n’être pas toujours dans la présentation théâtrale, d’investir d’autres endroits afin de toucher d’autres milieux.
Propos recueillis par Agnès Izrine
Théâtre national de Chaillot, 1, place du Trocadéro, 75016 Paris.
Paris/New-York/Paris : du 6 au 8 janvier 2016, du mercredi, vendredi à 20h30, jeudi à 19h30. Durée 2h00
Trois Pièces : du 13 au 15 janvier 2016, mercredi, vendredi à 20h30, jeudi à 19h30, durée 2h15
La Fabrique au CND
Samedi 16 janvier 2016 de 14h à 18h30
De 14h à 15h30 Ateliers de danse classique et contemporaine, niveau débutant et avancé
De 14h à 18h30 Projections de films - Exposition des photos d’archives du CCN - Ballet de Lorraine
De 15h45 à 18h30 Extraits de pièces de Merce Cunningham, Trisha Brown, William Forsythe, Mathilde Monnier, La Ribot, Thomas Caley et Petter Jacobsson
Entrée libre, réservation conseillée pour les spectacles et les performances.
Atelier 15 € (tarif plein), 10 € (tarif réduit), un seul tarif 5 € (avec la carte CND).