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Avis de Turbulences à l’Etoile du Nord

Suite au prolongement de l’état d’urgence, la scène artistique a besoin de soutien pour faire face aux frais supplémentaires et à une baisse de la fréquentation qui pénalise surtout les structures les plus fragiles. Le festival Avis de Turbulences est un bon exemple. Certes, Fleur Pellerin annonce de petites aides pour les salles de concerts. Mais quid des théâtres et festivals à l’équilibre financier précaire ?

Jean-François Munnier avait programmé M.M.O. de Lionel Hoche, pièce « tous publics » à partir de cinq ans. L’intérêt  pour la pièce était tel qu’il a fallu prévoir des séances supplémentaires. Arrive le choc du 13 novembre, et il faut presque tout annuler, les sorties scolaires étant proscrites. Et nombreux sont les parents qui  préfèrent garder leurs enfants à la maison, empêchant même les sorties individuelles.

Mais la baisse de la fréquentation, naturelle en ces temps agités, concerne aussi les spectacles du soir, au point qu’on pouvait, à l’Etoile du Nord, se croire complètement à l’est, dans un pays où seuls quelques initiés se réunissent autour de la danse contemporaine. Du jamais-vu à Paris ! À peine un tiers du public habituel s’était déplacé, ce qui correspond aux baisses constatées dans la fréquentation des salles de cinéma, des concerts et des musées.

L’industrie du film peut, quant à elle, récupérer son manque à gagner au cours de l’année. Elle n’a besoin pour cela que d’une légère augmentation des tarifs, sans parler du fait qu’une part essentielle provient d’autres voies de diffusion. Mais quelle serait la marge de manœuvre des festivals, qui n’ont, par définition, lieu qu’une fois par an ? Aussi la danse française peut se retrouver dans le rôle du dégât collatéral d’une guerre (ou de plusieurs) au Proche-Orient.

Un rendez-vous raté avec le public et les professionnels peut pénaliser gravement une jeune compagnie, les possibilités de se rattraper étant rares. Ont fait les frais de la baisse d’énergie côté public (on était le lendemain de l’assaut donné à Saint-Denis) les chorégraphes Sophie Bocquet et Marion Uguen. Et seule Sophie Bocquet peut espérer limiter les pertes, sa compagnie étant en résidence longue à l’Etoile du Nord, jusqu’en 2018.

Sophie Bocquet : Perdre est une question de méthode

Son trio Perdre est une question de méthode se situe à la lisière du théâtre, dans une ambiance entre rêve, cinéma et vie quotidienne, où il est question de la difficulté à trouver une cohérence dans sa vie sentimentale, émotionnelle et sociale dans le monde actuel. Ces trois personnes appartenant à la « génération Bataclan », avec leurs rêves, peurs, désirs et obsessions sont en état d’urgence, sans trop savoir vers quel avenir se tourner. Les bribes narratives surgissent d’un terrible néant, dans un sentiment de perdition.

De cette pièce et de sa méthode se dégage un sentiment d’inachevé, comme dans la vie des trois perdants: « Ils n’ont aucune chance de gagner, et gagner quoi », demande la chorégraphe. Au bout du compte, la méthode Bocquet est assez beckettienne, sur fond de mirages créés par un monde qui promet le bonheur gratuit pour tous.

Marion Uguen : Exercitare

Autre recherche sur le rapport entre le geste et la parole, Exercitare de Marion Uguen part de structures rythmiques et gestuelles simples, mais variées à l’infini, laissant beaucoup de liberté pour improviser. Et pourtant, cet exercice-là donne à sentir, à tout moment, que la recherche a maturé, jusqu’au bout. Entre la chorégraphe-interprète et le musicien expérimental Benjamin Colin se crée une aspiration commune, une étoile du nord vers laquelle les sons, les mots et les mouvements du corps vont converger.

Les instruments de musique, étalés sur une table basse comme pour un dîner, créent leur chorégraphie sonore, alors que les allitérations poétiques du style « les doigts c’est douteux, c’est tout doux, d’où te viennent ces doigts... » créent la même fluidité et la même cohésion que les gestes d’Uguen.

Du début à la fin, la chorégraphe-interprète se tient debout, face public, pour Exercitare sa musique visuelle et verbale (« patrimoine... moine... non... non...merci... »). Chaque instant intrigue grâce à l’intensité des liens organiques entre les trois entités, dans une convergence parfaite.

Thomas Hahn

L’Etoile du Nord, festival Avis de Turbulences #11, du 4 au 28 novembre 2015

www.etoiledunord-theatre.com

 

 

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