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« dbddbb » de Daniel Linehan
Une réflexion chorégraphique sur le rythme de la marche… mais perturbée par la pensée Dada !
Dada était un mouvement cosmopolite qui parlait toutes les langues, aimait à atteindre l’être dans son incohérence, ou sa cohésion primitive. Ainsi de Daniel Linehan, qui dans dbddbb (double dada beaubeau), reprend à son compte la poésie Dada telle que l’avait prévue Tristan Tzara : « La pensée se fait dans la bouche » (Sept Manifestes dada, 1924) et retrouve une forme neuve de divertissement artistique un peu foutraque et très maîtrisé.
Photos : Palais des Festivals et des Congrès – Cannes / Nathalie Sternalski
Mais dans la pièce de Linehan, il s’agit aussi d’une pensée en mouvement, que rien ne peut mieux caractériser que la marche dont on connaît toutes les occurrences diverses et variées : militaire, musicale, nuptiale, protestataire, processionnelle, mais surtout le mode de locomotion préféré des bipèdes que nous sommes.
Croisant donc ce mécanisme qui consiste à se rééquilibrer d’un pied sur l’autre, à des poèmes sonores « onomatopéiques » empruntés à Hugo Ball ou Kurt Schwitters, dbddbb, tout en oscillations, et en mouvement d’avancées, arpente le plateau en scansions de natures différentes et de rythmes contrastés.
Photos : Jean-Luc Tanghe
Modulée par ces cadences aux intensités variées, par des mouvements de bras plutôt angulaires mais qui, parfois, prennent leur envol, la petite tribu de cinq danseurs hésite toujours entre l’individuel et le collectif, entre l’excentrique et le concentrique. Grands pas et petites foulées où se mêlent parfois des gestes quotidiens, croisements musicaux et chorégraphiques portés par les voix, jouent de l’absurde, voire du délirant. En tout cas du déstructuré comme en témoignent les peintures sur le visage et les curieux costumes, bermuda-jupe ou robe à moitié, à la fois drôles et stylés . Les éclairages soignés tout comme la structure de tubulures d’où pendent des chaussures de sport roses est en soi une installation plastique qui sert de décor à cette pièce singulière.
Photos : Jean-Luc Tanghe
Ponctuée de gestes faussement expressifs, tout cela fini par prendre forme, dans une sorte de solfège corporel très calculé. Partie de frappes à deux, trois ou quatre temps, la chorégraphie se complexifie en rythmes composés, en syncopes, en polyrythmies ou polyphonies. La véhémence de ce qu’ils ont à dire dépasse l’entendement. Quelque chose commence à se libérer tout en s’incarnant. Les phrases se font mélodieuses. Au passage, on reconnaîtrait presque quelques pas du classique ou du baroque, qui, ne l’oublions pas, viennent eux-aussi de la marche. Du sautillant au solennel, du sportif au triomphant, sortent des sauts bizarres, des tours, du souffle.
Photos : Jean-Luc Tanghe
On est bien loin de la marche, on entre dans la danse et, quand les danseurs se couchent, une sorte de mélopée faisant presque penser à une symphonie des psaumes donne une couleur sombre dans ce décor fantastique de tubulures nimbées d’un éclairage rose.
À la fin, ils forment une houle légère et calme, signalant l’universel d’un groupe qui se constitue comme tel.
Agnès Izrine
28 novembre 2015, Festival de Danse de Cannes - Théâtre de La Licorne
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