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« Removing » de Noé Soulier
Le chorégraphe Noé Soulier ne cesse de nous alerter sur le fait que « la manière dont on conçoit le mouvement affecte profondément l'expérience qu'on en fait ». En commençant d'observer sa nouvelle pièce, Removing, on se demandait si cette assertion ne pouvait se traduire aussi au niveau de l'expérience du spectateur. Voire, on concevait la crainte d'une surdétermination du regard, exagérément dirigé par la lecture préalable d'une feuille de salle qui expose parfaitement les principes d'écriture mis en œuvre dans cette pièce.
Or, force est de constater que Removing porte bien son titre. Cette pièce libère une puissance inédite, qui emporte tout sur son passage. Cela non sans tourner la page des brillantes explorations jusque là conduites par ce même jeune chorégraphe, à partir du vocabulaire et de la syntaxe de la danse classique.
Dans Removing, le principe est de porter l'attention exclusive sur l'effectuation du mouvement en lui-même, faisant abstraction du contenu de l'action, et de la charge d'intention, qui supportent et que recèle un geste. Il y a là quelque chose d'un retour aux fondamentaux. Cela décape une bonne part de la réflexion en danse contemporaine, qui a beaucoup mis l'accent sur la notion de pré-mouvement, ou encore sur la dimension toujours déjà auto-fictionnelle de toute mise en présence d'une corporéité culturellement et émotionnellement construite.
Les six danseurs de Removing – quatre garçons, deux filles, dans des attitudes très peu sexuées – s'élancent dans une production étourdissante de mouvements dont les liaisons et déroulés d'intention sont gommés. À rythme très soutenu, très tendu aussi (hormis quelques séquences qui par contraste parraissent au ralenti), des mouvements sont décochés à profusion, avec une grande vigueur d'attaques et netteté de traits, dans des directions et sur des niveaux aussi imprévisibles qu'incessamment variants.
La performance en termes dynamiques et de mémorisation est confondante. Les inclinaisons latérales de troncs, les hyper-extensions, les attaques et projections par l'arrière, voire à la renverse, les secousses électrisées du bassin, les balayages généreux des bustes en avant, les sauts fixes comme sur ressorts, se manifestent par cascade d'apparence torrentielle – pourtant très savamment écrite sur le mode du contrepoint et des combinaisons d'unissons partiels distribués à la volée.
Sur un fond de constance obstinée, une forme étonnante de tournis limpide sculpte des espaces acérés et incisifs. On songe à William Forsythe, qui est une référence cardinale pour Noé Soulier, mais alors retenue en-deça de l'expansion lyrique. Une plasticité générale se dégage, de cette troupe où chacun reste pourtant strictement isolé dans son mouvement (sauf exception, qu'on va voir).
Le regard pénètre à sa guise, par lignes d'effraction toujours ouvertes, dans cette pièce qui ne consolide pas ses bords, qui affole les plans, chahute les modules, et multiplie à l'envi tous les engagements dynamiques possibles et imaginables. Cela se déroule dans un silence qui fait mieux entendre la sécheresse des contacts au sol.
Seul un lourd bourdon viendra à résonner, tandis qu'un duo fait parenthèse. Ses deux interprètes, en toute exception, en viennent à négocier un contact corporel direct entre eux, très étudié. Il y a soudain une forme d'insistance à souligner l'hypothèse de la dramatisation que recèle la mise en partage inter-individuelle des gestes.
L'ouverture dramaturgique ainsi ménagée n'a rien de neutre. Car le seul danseur noir de la distribution, Brésilien musculeux, est ici impliqué, et tranche sur le paysage blanc savant, ethnocentré, non sans réminiscence de formalisme abstrait américain, qui imprègne par ailleurs cette écriture – très cohérente avec une certaine tradition esthétique du Festival d'Automne, et dont la personnalité artistique de Noé Soulier est un emblème de la distinction comme de la reproduction.
Puis c'est encore ce même interprète, José Paulo Dos Santos, qui conclue la pièce sur un solo imprégné d'étonnante décontraction fantaisiste, avec zapateado quasi musical, claquements de doigts, et sourires assumés. Cette part de jeu, cette note du plaisir, et fréquentation de l'altérité, font appel, à l'horizon de Removing.
Gérard Mayen
Jusqu’au 16 octobre au Théâtre de la Bastille, dans le cadre du Festival d'Automne à Paris.
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