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« e-nondation » de Brice Bernier

Annoncé sous le titre J'y arrive pas, ce premier solo de Brice Bernier est finalement devenu e-nondation. Où il faut bien sûr prononcer le "e-" à l'anglaise. Il n'est pas interdit de changer de titre en cours de production, et la modification n'est finalement que cosmétique. Les deux propositions expriment un sentiment de désorientation, de doute et d'interrogation que Brice Bernier nous propose de partager avec lui.

Ce Monsieur K d'un autre temps se lève le matin et traverse les différents états d'envie de danser, de préparation, d'angoisse. Et quelquefois il arrive même à danser, ce qui a peut-être motivé le changement du titre.

Mais danser, c'est un état, n'est-ce pas ? Et c'est d'autant plus vrai pour un B-Boy. Alors peut-on encore être un B-Boy avec son rapport au sol si organique, dans un monde à ce point dominé par le virtuel ? Toute cette e-nondation est le reflet d'un monde qui a perdu le fil de son propre récit. Il n'y a plus de centre. Ou bien il n'y a que des centres.

Nous vivons sur, avec et pour une toile, une e-toile, une étoile rhizomique. Les créations visuelles de Loïs Drouglazet en toile de fond, ainsi que  l'univers sonore de Guillaume Bariou captent notre relation avec cet espace parallèle qui nous traverse et nous conditionne. L'individu, dans le sens de l'indivisible, de l'unicité donc, est poussé dans ses derniers retranchements. Son errance est le reflet d'un monde dilaté. Pourtant il n'est ici pas question de schizophrénie, mais juste de déstabilisation face à l'inondation électronique.

Le corps de Bernier livre des images d'une grande clarté, malgré ses états de perturbation divers et variés, autant mentaux que physiques. Le titre initial, J'y arrive pas, reflète parfaitement l’impossibilité d’un état d'harmonie avec le monde et soi-même. e-nondation est un voyage virtuel à travers les possibles d'une danse qui ne demande qu'à exister. Ce non-avènement de la danse, mis à part des moments réguliers de virtuosité bien digérée, n'est pas le problème de ce solo à quatre (Bernier est entouré des opérateurs son et lumière autant que par leurs créations), mais bel et bien son sujet.

Ce corps vacillant au ralenti, mis sous double tension - à la fois par l'état vécu et par son extrémisation chorégraphique - renvoie aux recherches de Merce Cunningham sur les limites de la stabilité et de l'équilibre. Etant donné que le hip hop, et la breakdance en particulier, fonctionne grâce à la vitesse, le ralenti est une véritable gageure qui transpose vers le hip hop le précepte cunninghamien : « Un mouvement devient intéressant à partir du moment où il a l'air maladroit ». Le personnage incarné par Bernier déplace son inadaptation  au monde sur le terrain de la lenteur, état aussi extérieur  au monde actuel qu'au hip hop. Voilà à quoi ressemble Monsieur K, projeté vers l'époque des applications tous azimuths.

e-nondation, dialogue entre le corps, l'univers sonore et la création visuelle, est un voyage de la old school vers la new school, et peut-être même une post-school, qui se termine par une sorte de descente aux enfers. Quand on pense à Hiroaki Umeda, pionnier d'il y a une décennie, qui utilisait son i-phone pour régler son et images en dansant, e-nondation nous parle d'une inversion du rapport à l'outil, passé de la 2G à la 4G.

De découverte enthousiasmante, le smartphone s'est transformé en un premier pas vers la création d'une hybridation de l'être humain. Alors que tout le monde (ou presque) réfute, pour des raisons morales, la vision des microchips implantés sous la peau ou dans le cerveau, tout le monde accepte avec joie de ne faire qu'un avec son smartphone, instrument de contrôle probablement même plus efficace.

En voyant e-nondation, on se rend compte que les solos d'Umeda incarnent fondamentalement un état d'harmonie entre l'humain et son environnement technologique, l'individu restant maître de son univers. e-nondation met les pendules à l'heure et confère à Umeda une odeur de Old School.

Thomas Hahn

e-nondation (présenté sous son titre de travail J'y arrive pas)
chorégraphie, mise en scène, texte & interprétation : Brice Bernier
assistant, œil extérieur : Sofian Jouini
composition musicale : Guillaume Bariou
création lumières : Willy Cessa
création vidéo : Loïs Drouglazet
construction : Manfred Schafer

Théâtre des Abbesses, du 10 au 13 septembre

www.theatredelaville-paris.com/spectacle-bricebernierjyarrivepas-970

 

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