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Mimos 2015 : Bilan et création d' « Alba » d'après Lorca

La 33è édition du festival Mimos s'est conclue le 1er août sur une fréquentation record de 85.000 spectateurs, toutes catégories confondues, chiffres en nette augmentation, autant pour les entrées en salles (de 6 500 à 7 200) que pour les spectacles du Off (45 000). L'affluence aux grands spectacles gratuits du In a nettement contribué à la croissance. En ouverture, les installations lumineuses de la compagnie Carabosse dans la cité romaine de Périgueux ont attiré 15 000 personnes (voire plus). La clôture avec Funambus d'Underclouds Compagnie a été entourée par quelques cinq mille spectateurs. Spectacle à succès, Funambus met en scène un duo sur le fil, au-dessus d'un vieux bus, métaphore de la bête sauvage et rugissante du cirque traditionnel, d'évasion et de passion.

Au fil d'une édition pleine de surprises, Mimos a offert un parcours soulignant la condition actuelle des arts du geste qui traversent les autres disciplines du spectacle vivant et travaillent à la définition de leur propre domaine dans la création. Car Mimos ne se limite pas à proposer aux publics (familles, touristes, professionnels...) une semaine de découvertes poétiques, burlesques, surréalistes ou dramatiques.

Chaque année, les acteurs artistiques du mime contemporain organisent à Mimos un forum de réflexion. Cette fois, une table ronde a été consacrée aux questions de l'écriture. La technique acquise, comment employer le corps dans ce champ où le geste est à la fois concret et porteur d'une dimension poétique ?

Les conditions de création sont si difficiles qu'elles n'attirent que les inconditionnels, alors que beaucoup de talents s'orientent vers les secteurs qui disposent de lignes budgétaires: le cirque, la danse, les arts de la marionnette et bien sûr le théâtre de texte.

Bernarda Alba: Une Maison pour le mime

En même temps, le Théâtre du Mouvement, compagnie phare créée en 1975 par Claire Heggen et Yves Marc, y a fêté ses quarante ans d'existence, avec la re-création de leur pièce de 1989, Encore une heure si courte et la création mondiale d'une adaptation gestuelle de La Maison de Bernarda Alba de Lorca. La première pièce, aujourd'hui transmise à trois acteurs corporels catalans, montre une écriture ludique, loufoque et surréaliste. L'écriture part d'une recherche sur le rapport à des caissons en bois et une partition vocale signée Georges Aperghis, pour une recherche sur le rythme, le temps et les rapports de domination ainsi que les relations entre trois employés de bureau qui sont amis et concurrents en même temps, plongeant ensemble dans un univers enfantin.

 

La création d'Alba marque la première écriture d'Yves Marc à partir d'un texte du répertoire dramatique, ici adapté et concentré sur les rapports-clé entre la mère, les filles et Poncia, la servante incarnant la force de répression. Le scénario suit l'intrigue, la mettant en images. La pièce de Lorca est une matière bien plus adaptée au mime qu'au ballet, si on veut pour preuve la version de Mats Ek dans ses lourdeurs esthétiques, où le ballet reste prisonnier de ses propres codes, alors que Lorca dénonce précisément un système de valeurs immuable. Le mime est plus libre dans le choix de ses moyens d'expression. Avec le Théâtre du Mouvement, on plonge dans l'univers catholique de l'époque et dans ses codes, alors que l'esprit de l'interprétation reste contemporain.

Contrairement à ce qu'on pourrait attendre, Yves Marc lui-même ne joue pas Pepe (personnage n'existant ici que sous forme d'une photo, chérie par Angustias et Andela), mais Bernarda, le visage grimé de blanc et aux traits soulignés comme pour un masque de Commedia dell'arte. Les raisons de choisir une interprétation masculine pour la mère sont doubles. Primo, le régime maternel n'est que la continuation d'un système patriarcal immuable, visé par Lorca. Deuxio, le visage et le corps de Bernarda deviennent ainsi les reflets du désir refoulé.

Mime et danse, en bonne intelligence

L'écriture conjugue actes concrets, situations dramatiques et envolées dansées de corps emplis de désir de liberté et de légèreté, d'amour et de mariage. Le corps dansant est fugace, il incarne l'imaginaire du désir. Le corps mimant s'inscrit dans une continuité du temps, il porte en lui un passé et un avenir. La danse existe donc de plein droit dans Alba, mais à des moments précis, pour des solos émouvants et superbement interprétés, en tant que moyen dramaturgique ciblé. Cela n'en fait pas une pièce de danse. Au contraire, la bonne intelligence en laquelle mime et danse s'épaulent mutuellement offre à l'écriture dramaturgique une souplesse plus qu'intéressante. Le mime porte toutes les parties évoquant la réalité vécue et les conflits, la danse offre l'échappatoire. Et on constate que Lilo Baur, dans sa mise en scène de la pièce actuellement donnée à la Comédie-Française, introduit elle aussi des tableaux de danse.

Le mime sait donner poésie et force de l'âme à des narrations simples, claires et profondes qu'on peut trouver dans la littérature. Marceau l'a prouvé en adaptant Le Manteau de Gogol, longtemps avant qu'Heggen et Marc ne fondent le Théâtre du Mouvement. Mais Marceau n'existait qu'à travers sa propre technique. Le mime actuel puise à toutes les sources, s'inspirant du mime corporel d'Etienne Decroux et permet à chaque compagnie de développer son propre style.

La voix du corps

Vis à vis du théâtre de texte, l'adaptation gestuelle permet de saisir l'énergie vitale ou mortifère des personnages au plus près des pulsions, dans l'absolu du désespoir, du désir ou de l'empêchement. Chez le spectateur, l'empathie est immédiate et cutanée, grâce à une marge d'abstraction plus large. Au résultat, un spectacle comme Alba se prête à être présenté devant les publics du monde entier, y compris dans les pays où l'emprise de la religion sur la vie au quotidien est aujourd'hui aussi puissante que dans la société décrite par Lorca.

L'interprétation sans paroles ouvre notamment la voie vers l'incarnation de Bernarda par un homme. Au théâtre de texte, les femmes savent aujourd'hui exister en tant que personnages masculins (interprétation du Roi Lear par Sylvia Monfort, par exemple), mais l'inverse pose problème. Le corps sait mimer crédiblement, la voix non. Pour qu'un homme puisse jouer un rôle de femme âgée, il faut soit aller vers l'onnagata ou le kyogen japonais, soit revenir aux temps où les femmes étaient interdites de scène, soit utiliser la technologie développée par l'Ircam qui sait changer la voix humaine en direct. 

Avec ses images puissantes et sa dramaturgie concise, Alba n'entend pas imposer un modèle aux compagnies pratiquant le théâtre corporel, d'autant plus qu'Yves Marc et Claire Heggen pratiquent également des registres très différents. Mais la contribution de cette création-anniversaire au développement du mime contemporain est majeure.

Thomas Hahn

www.mimos.fr

http://theatredumouvement.fr

 

Alba

Mise en scène : Yves Marc
Assisté d’Estelle Bordaçarre
Bernarda : Yves Marc
La Poncia : Mélanie Devoldère
Adela : Silvia Cimino
Augustias : Véronique Muscianisi
Martirio : Elsa Taranis
Magdalena : Alexandra Antoine

 

Prochaines représentations :

• le 6 octobre à 20h au Vingtième Théâtre, Paris

• du 3 au 7 novembre à 20h30 au Théâtre Berthelot, Montreuil (93)

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