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« Jamais assez » de Fabrice Lambert
Le plateau est plongé dans la pénombre quand une ligne sombre et lourde roule pour atteindre le bord du plateau. Les danseurs en émergent, comme délivrés d’un sortilège sans fin. Commence alors une danse, suspensive, fluide, fascinante, à la manière d’une fugue dont les thèmes partent l’un derrière l’autre et entrelacent le passé, le présent et l’avenir. Fabrice Lambert envoie de tous côtés ses amorces qui se fondent dans la réunion d’une unité indestructible mais si fragile composant la sensation de la masse et du poids autour d’un invisible dangereux ou menaçant.
Galerie photo : Laurent Philippe
Les corps peuvent devenir cylindres de chair sombre, membres lourds qui s’ajustent, et se propagent à tout le groupe. On dirait une nécessité irrésistible dont la beauté arrête le temps. Sculptés par les lumières d’Yves Gladieux, les corps épousent un espace infiniment mobile, aux nuances intemporelles. Les dix danseurs (exceptionnels) se meuvent en vague, en retours, en rebonds, contrepesant les volumes, essayant des envols. Leurs corps inscrivant à même l’air des signes, des traces éparses qui restent à déchiffrer.
Galerie photo : Laurent Philippe
Jamais assez s’inspire, nous dit le programme, du film Into Eternity (2010), du réalisateur danois Michael Madsen qui révèle le site top secret d’Onkalo (qui signifie cachette ou grotte), en Finlande, Un chantier commencé il y a dix ans et qui doit durer cent ans pour y ensevelir des déchets nucléaires pendant 100 000 ans. Une dimension mythique et effrayante, un acte prométhéen et plus qu’inquiétant dans sa démesure.
Jamais assez se laisse « emporter par ce défi, l’idée d’un acte aussi insensé et son débordement temporel » C’est pourquoi il relie aussi ce chantier au mythe de Prométhée, parti pour défier les dieux.
Une voix off reprend les paroles du début du film, telle une injonction futuriste et angoissante : « Je veux vous dire que vous êtes dans un lieu où l’on a enterré quelque chose pour vous protéger. On a pris grand soin d’assurer votre protection. Vous devez savoir que ce lieu ne doit pas être dérangé. Vous devez aussi savoir que ce lieu n’est pas un lieu d’habitation… »
Les lumières de Philippe Gladieux nous plonge dans ce monde irréel et souterrain, soulignant les accélérations ou les alentissements du mouvement. Les humains y sont passifs, échoués, engloutis dans les ténèbres ou s’agitent avec leurs ombres, dans l’attente d’une effroyable catastrophe par l’arrivée successive de fumées qui se répandent en silencieux halos. Vapeurs nocives qui bientôt vont tout étouffer.
Galerie photo : Laurent Philippe
Mais une luminosité douce nous fait croire que le sol n’est pas si instable et que les danseurs, ces prométhées d’aujourd’hui, pourraient conjurer par leurs gestes une danse du feu qui ne s’éteindra jamais.
Les corps se font alors volutes, flammes qui se tordent et se dissipent dans l’éther. Ils rencontrent l’éternité à venir en levant juste un bras, en s’allongeant au sol, en s’effondrant sur eux-mêmes. Un peuple de musculatures amalgamées dont l’énergie qui lui reste est le témoignage collectif d’une humanité aveuglée qu’une bâche noire finira par recouvrir pour toujours.
Galerie photo : Laurent Philippe
Jamais assez est un spectacle d’une obscure beauté même si la musique (d’ailleurs non créditée dans le programme) écrase un peu la danse de la première partie.
Agnès Izrine
16 juillet 2015, Festival d’Avignon, Gymnase du Lycée Aubanel
En tournée
le 05/04/2016 L'Apostrophe Cergy-Pontoise
le 27/05/2016 Théâtre de Saint-Quentin en Yvelines Saint-Quentin en Yvelines
le 09/06/2016 Atelier de Paris - Carolyn Carlson, Festival June Events, Paris
Jamais assez
Chorégraphie Fabrice Lambert
Scénographie et costumes Thierry Grapotte
Lumière Philippe Gladieux
Son Marek Havlicek
Assistanat à la chorégraphie Hanna Hedman
Avec Aina Alegre, Jérôme Andrieu, Mathieu Burner, Vincent Delétang, Lorenzo De Angelis, Corinne Garcia, Julie Guibert, Hanna Hedman, Yannick Hugron, Jung-Ae Kim
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