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« Un Sacre du Printemps » de Daniel Linehan

L'expérience du spectateur d'Un Sacre du Printemps, de Daniel Linehan, est marquée par deux dispositions particulières.

D'une part sur le plan musical, l'œuvre de Stravinsky y est interpétrée dans sa réduction pour piano à quatre mains, ici revisitée sur deux claviers. Cette option crée un espacement, très stimulant pour l'oreille. On échappe à la pesanteur du "tube" trop bien connu sans cesse relancé. De surcroît, les deux instruments impressionnants sont regroupés sur l'un des bords du plateau. Ils y ancrent une polarité de la pièce, vers laquelle les danseurs ont tendance à se replier, avant de se redéployer par grandes vagues. L'accordance entre musique et chorégraphie est ainsi très physiquement inscrite.

D'autre part sur le plan spatial – dans une disposition apparemment idéale pour les représentations au Festival de Marseille – l'aire de danse a l'aspect d'un grand déambulatoire, qui va se resserrant jusqu'à l'une de ses extrêmités. Ce cône scénique est bordé sur deux côtés en longueur, par les gradins où les spectateurs prennent place, en surplomb. Une proximité s'installe avec les danseurs qui évoluent à leurs pieds, visages face visages. Cette disposition induit un vaste effet de perspective latéralisée, où l'action gagne le champ visuel depuis un bord, et se répand en ouvrant une dynamique de regard inusitée.

Pour Daniel Linehan, l'enjeu était celui d'une confrontation avec la matière musicale, finement écoutée. Si la musique du Sacre a ses arêtes, ses crêtes, ses brisures et ses relances – mieux audibles sur claviers secs – les corps y répondent, avec cette acuité des attaques, ces suspensions dans le spasme, ces fixations d'expressions aiguisées, qui sont le propre d'un style P.A.R.T.S. Car les treize danseurs de la pièce sont tous issus d'une même promotion de cette école ; d'un seul tenant. On en sait l'excellence.

Daniel Linehan avait initialement abordé ces jeunes gens en position d'artiste invité pour une session de recherche approfondie. Plus tard il les aura retrouvés à la sortie de l'école. En découle une facture très exigeante, remarquable, dans une science consommée d'alternance et contrastes entre grand brouillage du groupe, puis réinstallation vive, alors émaillée d'embrasements solistes. De grands allants de mouvement dramatisent les entrées, enflamment les échappées ponctuelles, dans une ébullition de matières d'où émergent soudain des fulgurances de lignes.

Des figures en effigie, campées avec la vivacité d'esquisses, émaillent cette matière où l'accident vaut élégance. L'interprète met alors l'accent d'une attitude en défi, dévisageant le spectateur. On doit le sentir à le lire : c'est somptueux, éclatant. Parfait, même. Or cela inquiète, comme il en va du concept même de perfection, passablement totalitaire. Un Sacre du Printemps illustre en quoi P.A.R.T.S. est aujourd'hui le lieu où se forge un nouvel académisme, fût-il contemporain.

On y ressent un propos garanti zéro défaut, un rendu satisfait, prêt à s'imposer de toute évidence sur le marché. Ce parfum d'école de commerce stylistique est d'autant plus troublant, que son modèle est celui du dégingandé ébourrifé, du libéré étudié, du frippé qui fait genre. La touche abrasive rappelle celle des jeans délavés et déchirés avant l'achat.

 Sous la désinvolture feinte, on ne décèle jamais la faille, le doute ne saurait y être envisagé. L'accident de la ligne corporelle n'y vaut que pour posture. Telle est la nouvelle école de l'efficacité chorégraphique. On y consacre. Ah, quel beau Sacre !

Gérard Mayen

Le 6 juillet 2015 dans les locaux du Ballet national de Marseille, programmé par le Festival de Marseille.

 

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