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« Fase » Anne Teresa De Keersmaeker à la Biennale de Venise
Anne Teresa De Keersmaeker a repris son rôle dans Fase après avoir reçu un Lion d’Or pour l’ensemble de sa carrière lors de la Biennale de Venise 2015.
Revoir Fase (Four movement to the music of Steve Reich), tel qu’Anne Teresa De Keersmaeker l’avait créé quand elle avait vingt ans, tient presque du prodige. Et pourtant, c’est bien la même imperturbable Anne Teresa, immarcescible malgré les 33 ans d’écart, la même nervosité, le même engagement, la même pureté de la danse. Fase reste donc une chorégraphie immuable et qui tient merveilleusement bien la route au fil des années.
On est toujours bluffés par la chorégraphie qui demande une mémoire et une concentration hors pair.
Les quatre compositions de Steve Reich qui s’échelonnent entre 1966 et 1972, ont toutes pour point commun le processus du « phasing ».(ou déphasage en français). Steve Reich (re)-découvre le phasing par hasard en 1965, lors de la composition d'une œuvre pour bande magnétique, It’s gonna rain. Le compositeur disposait de l'enregistrement d'un discours sur deux magnétophones de mauvaise qualité. Son idée première était d'utiliser les magnétophones pour répéter la même portion de son avec un décalage temporel entre les deux parties, soit la technique classique du canon. Un dysfonctionnement des magnétophones fit que les deux machines démarrèrent à l’unisson, mais perdirent peu à peu leur synchronisme créant un déphasage graduel entre les deux voix. Reich trouva le rendu nettement plus intéressant et explora le procédé avec It’s gonna Rain, puis avec Come Out(1966) , et enfin avec Piano Phase (1967) et Clapping Music (1972).
Bien entendu, Anne Teresa De Keersmaeker, va se servir de ce processus dans sa chorégraphie. Chacune des deux danseuses jouant les deux lignes qui se décalent et se recalent. Tout ceci aurait pu être extrêmement fastidieux. C’est, au contraire, vertigineux, hypnotisant, et surtout absorbant. On ne peut quitter des yeux les deux danseuses (Anne Teresa et Tale Dolven) dont la précision mathématique du geste, la subtilité du déphasage – et du rephasage, sont éberluantes. Mais c’est surtout l’apparente décontraction, qui fait voltiger en mesure les robes des deux danseuses et afficher un mince sourire sur les lèvres d’Anne Teresa qui est sans doute le plus impressionnant.
La deuxième partie "Come out", où les deux interprètes sont assises sur des tabourets, en chemise et pantalon fluide, est une superposition de trois mouvements de bras répétés trois fois. C’est dans cette partie que le rapport contrapuntique est le plus marqué. C’est aussi dans ce mouvement que se dessine la structure de ce qui servira plus tard à la fameuse « danse des chaises » de Rosas danst Rosas.
La troisième partie, "Violin Fase" est un solo d’Anne Teresa De Keersmaeker, basé uniquement sur la rotation dans un sens puis dans l’autre, s’inscrivant dans l’espace selon un cercle invisible. C’est sans doute une des parties les plus obsédantes de Fase. La circularité devenant une sorte de superstructure de la répétitivité.
Enfin "Clapping Music", sur un double enregistrement de battement de mains, reprend d’une certaine façon les déphasages de "Piano Phase", tout en gardant les costumes et les lumières de "Come Out". Après les rondes de "Violin Phase", "Clapping Music" joue surtout sur une linéarité stricte.
"Fase" à la Tate Gallery
Ce qui est toujours remarquable dans Fase, est que la danse semble se calquer sur la musique, pourtant, ce n’est pas le cas. Gestes et musiques ne se superposent pas mais se ponctuent l’un l’autre ou se répondent. Fase n’est pas une incarnation de la musique mais une véritable interprétation de la partition par un instrument original et fondamental : le corps. C’est aussi une façon d’incorporer le rythme. Mais, et c’est capital, à aucun moment les danseuses ne se laissent « embarquer » par ce rythme. Anne Teresa De Keersmaeker s’en sert au contraire pour ancrer le corps dans sa réalité physique. C’est ce qui crée cette fascination du spectateur qui ne peut se détacher des mouvements qui se font, se défont et se répètent sans fin.
C’est aussi un vrai plaisir de voir danser Anne Teresa De Keersmaeker, qui garde un naturel juvénile extraordinaire et une fulgurance du geste défiant toute concurrence.
Agnès Izrine
Biennale College - Danza, Arsenale, Teatro Alle Tese
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