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June Events : Daniel Linehan à propos d'« Un Sacre du Printemps »
Daniel Linehan présente au festival June Events Un Sacre du Printemps, pour treize danseurs ; accompagné par deux pianistes. Il explique ici son approche de la célèbre partition de Stravinsky, à laquelle il prête une oreille particulièrement attentive aux structures inhérentes et fondamentales.
Danser Canal Historique: Pourquoi vous confrontez-vous au Sacre du Printemps ? Est-ce par scepticisme face aux versions d’autres chorégraphes ? Etes-vous convaincu d’avoir une touche particulière à ajouter au tableau ?
Daniel Linehan: J’ai été invité par P.A.R.T.S. pour mener un travail avec les étudiants. C’était en 2013, à un moment où, à cause du centenaire du Sacre, on en voyait un peu partout. Bien sûr, je sais que beaucoup d’autres chorégraphes se sont attaqués au Sacre dans le passé ; mais j’étais motivé par autre chose, je n’étais pas intéressé par l’intrigue et le mythe. Je voulais revenir à la source et étudier les structures musicales pour mettre en rapport les structures rythmiques et la danse. Je n’avais encore jamais travaillé à partir d’une partition musicale. Je voulais voir comment mes méthodes et techniques habituelles pouvaient être appliquées à une partition musicale. J’avais prévu une recherche, sans la moindre idée de créer un spectacle. Mais après les quatre semaines de recherche avec les étudiants, j’ai décidé de continuer cette expérience. Entretemps ils ont obtenu leurs diplômes et avaient également envie de poursuivre ce travail dans un contexte plus professionnel.
DCH: Qu’entendez-vous par vos « méthodes et techniques habituelles »? Vous pensez à votre processus de création ou à la forme de vos spectacles ?
Daniel Linehan: Je travaille souvent sur des structures rythmiques mais habituellement ce sont des rythmes corporels et verbaux. Ici la partition musicale m’a suggéré des structures rythmiques et je vois comment les corps peuvent s’y adapter, soit en les épousant, soit en contrepoint.
DCH: Vous avez donc travaillé en dialogue avec les deux pianistes ?
Daniel Linehan: Au tout début du processus, j’ai étudié la partition, page par page, avec Alain Franco, le directeur musical qui interprète la musique live avec Jean-Luc Plouvier. J’ai effectivement eu beaucoup de discussions avec Alain Franco sur l’approche de la partition de Stravinsky. En analysant la structure, il a relevé les multiples arrêts et redémarrages. Beaucoup de motifs musicaux sont coupés nets, et un nouveau motif est lancé. La chorégraphie joue donc beaucoup sur ces césures. Mais il a également apporté beaucoup de références et d’images. Il a par exemple comparé certains moments à des films d’Alfred Hitchcock. Nous avons travaillé sur les ambiances, pas seulement sur les structures.
DCH: Dans le Sacre du Printemps, Stravinsky joue particulièrement sur les contrastes entre les groupes d’instruments et leurs valeurs émotionnelles. Qu’en reste-t-il dans la version pour piano?
Daniel Linehan: La version pour piano est écrite pour quatre mains et un seul piano. Chez nous, c’est un dialogue entre deux pianos. Il n’y a donc pas de croisement des mains, ce qui permet aux pianistes d’enrichir la partition et de jouer presque chaque note de la partition originale. Et même si on n’a pas la différence de couleur des différents instruments ni leurs timbres, Franco et Plouvier jouent le Sacre de façon très expressive et les différentes ambiances existent bel et bien.
DCH: Comment votre chorégraphie répond-elle à la musique?
Daniel Linehan: Il y a des parties plus gestuelles et d’autres plus physiques, où les corps se plient et se déplient. D’autres parties travaillent le détail. Cela correspond à la diversité des motifs musicaux et aux césures. Je tiens compte, sans aller jusqu’à refléter la narration du Sacre, de quelques remarques de Stravinsky sur la violence du printemps russe, quand la glace craque de partout et la vie renaît de la terre. C’est une violence qui ne se dirige contre personne, mais reflète le nouveau commencement.
DCH: Vous jouez sur le collectif ou faites-vous émerger beaucoup de singularités ?
Daniel Linehan: Il est intéressant de travailler avec treize danseurs, car il y a des moments où ils forment des groupes ou bien des duos. Et quand je les distribue de cette façon, il y a toujours une personne qui reste seule et danse un solo, face aux groupes. Mais il n’y a pas d’élu(e) d’office, chacun peut émerger en tant que soliste.
Faites-vous une différence entre les présences des femmes et des hommes ?
Daniel Linehan: Il y a quatre femmes et neuf hommes. Tous sont chorégraphiés de la même façon, il n’y a pas de différences liées à leur sexe.
DCH: Vous placez le public en proximité immédiate autour de l’aire de jeu, pour l’intégrer à l’action autant que possible.
Daniel Linehan: Cela dépend des lieux. À Paris, le public prendra place sur le plateau, sur plusieurs côtés, ce qui veut dire que le spectateur, selon son emplacement, n’aura pas la même vision des solistes qui peuvent se détacher du groupe face à l’un des fronts de spectateurs. Cela rajoute au côté imprévisible. La chorégraphie n’est pas construite autour d’un centre, chaque endroit du plateau a la même valeur.
Propos recueillis par Thomas Hahn
le 19 juin, Théâtre du Soleil, festival June Events
http://atelierdeparis.org/fr/daniel-linehan/un-sacre-du-printemps
Un Sacre du Printemps
Chorégraphie : Daniel Linehan
Dramaturgie musicale : Alain Franco
Danse : Jeanne Colin, András Déri, Alexandra Dolgova, Erik Eriksson, Taha Ghauri, James McGinn, Charles Ngombengombe, Krišjānis Sants, Christoffer Schieche, Hagar Tenenbaum, Roman Van Houtven, Kathryn Vickers, Tiran Willemse (diplômés de PARTS Research Cycle 2014)
Musique : Igor Stravinsky
Piano : Jean-Luc Plouvier (ICTUS) et Alain Franco