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« Loops » de Thomas Lebrun
On a souvent tendance à regarder avec une bienveillante attention les pièces créées pour des amateurs. Mais Loops de Thomas Lebrun n’a pas besoin de ce genre de regards tant c’est une œuvre aussi entière qu’aboutie.
Composée sur la musique de Phil Glass, Loops réunit deux groupes de danseurs amateurs, trente individus différents, dans un dispositif aussi astucieux que plastiquement séduisant.
À Cour, les élèves du Conservatoire à Rayonnement Régional Francis Poulenc de Tours ; à Jardin les participants de l’Atelier chorégraphique du CCNT. Chaque groupe étant assis sur des chaises de part et d’autre du plateau.
Ce sont les premiers qui se lancent dans les volutes répétitives de la chorégraphie, dans une boucle complexe à l’apparence de la plus grande simplicité puisqu’il s’agit essentiellement d’une marche qui module dans le temps et dans l’espace. Très vite, on est happé par ces lignes droites et ces courbes qui délimitent une nouvelle géographie, sur un rythme obsédant qui ne laisse pas plus de répit au danseur que de droit à l’erreur. D’une précision extrême, les corps se croisent ou s’éloignent, arpentant le plateau comme des géomètres de l’instant.
Bientôt, le premier groupe retourne s’asseoir et le deuxième investit le plateau. Si la chorégraphie semble identique, la façon de la danser est subtilement différente et l’inscription du mouvement dans l’espace produit une autre couleur. On ne saurait mieux illustrer le propos du festival Tours d’Horizons, intitulé « Danse et partition » que par cette incarnation qui révèle à quel point l’interprétation, contrainte par une écriture, joue un rôle prépondérant, comme dans toute exécution musicale.
Le point culminant de Loops est atteint quand les deux groupes se rejoignent sur le plateau pour des chassés-croisés, des déplacements tirés au cordeau seul ou en petits groupes comme les oiseaux forment d’incroyables nuages qui ne cessent de se mouvoir tout en restant parfaitement coordonnés. Il se dégage une vraie jubilation à observer ces bifurcations soudaines, ces évitements millimétrés, ces revirements inattendus. Les tours et les détours laissent alors la place à une poétique abstraite mais familière, qui allie au comble d’une chorégraphie savante, notre pas le plus naturel.
C’est brillantissime.
En deuxième partie, Abderzak Houmi présentait un court extrait de La tête à l’envers dansé par Ramy Essid, sur la voix de La Callas. Un mélange plutôt surprenant qui aurait été totalement impensable il y a seulement une dizaine d’années. Le hip-hop d’Abderazak Houmi est si maîtrisé dans son écriture, que l’on finit par en oublier les figures obligées. Tout à fait hypnotique, on ne sait plus si Ramy Essid tourne sur la tête ou s’il virevolte dans les airs. C’est une danse qui laisse surgir des fantômes, parmi lesquels figure sûrment Maria Callas, dont la voix devient la texture du mouvement.
Agnès Izrine
Le 11 juin 2015 au Centre Chorégraphique National de Tours dans le cadre de Tours d’Horizons.
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