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Entretien avec Guesch Patti

Guesch Patti, avant d’être la star couronnée d’une Victoire de la musique pour son Etienne, était une danseuse classique passé assez vite dans le camp contemporain à l’aube des années 70. Dans les années 2000 après des expériences théâtrales exigentes, la voilà qui se relance dans la danse. On l’a retrouvé à Tours, où, après RE-VUe, elle créait un solo au festival Tours d’Horizons.

Danser Canal Historique : Beaucoup de gens savent que vous avez été à l’Opéra, plus rares sont ceux qui connaissent votre passé de pionnière de la danse contemporaine française. Qu’est-ce qui vous a poussée à vous lancer dans cette aventure ?

Guesch Patti : Quand j’ai commencé la danse contemporaine en 1971 il n’y avait quasiment pas de compagnies. Je travaillais avec Carolyn Carlson, Joseph Russillo et Anne Béranger. La première vraie compagnie contemporaine a été celle de Brigitte Lefèvre et Jacques Garnier, le Théâtre du Silence qui ont fait un travail formidable.  J’étais très politiquement engagée dans la décentralisation. Avec Daniel Charpentier, nous avons essayé d’aller porter la bonne parole de la danse dans neuf villes dans les années 70. Ce n’était pas si facile ! Nous débarquions, nous faisions des conférences dansées un peu partout. Ensuite dans les années 80 j’ai continué en travaillant avec Daniel Larrieu, Odile Azagury, Anne-Marie Raynaud, Le Four Solaire, mais aussi avec tous les jeunes chorégraphes impliqués dans ce mouvement comme Régine Chopinot, Odile Duboc, ou Dominique Bagouet qui était l’un de mes meilleurs amis. Et puis, fin 80, j’ai débarqué avec autre chose !

DCH : Qu’est-ce qui vous a amenée à lâcher la chanson… et le succès ?

Guesch Patti : Il y avait quelque chose qui ne fonctionnait plus, pour moi, dans la musique. Non pas chanter, mais dans la façon de faire des spectacles. J’étais assez malheureuse dans ce monde du Show Biz. Je tentais des choses différentes, par exemple dans mes clips. J’ai essayé de formuler de nouvelles tentatives, mais je ne m’y retrouvais pas totalement. Je suis donc repartie vers le théâtre en 2001. D’abord au TNP à Lyon avec l’Opéra de Quatre sous. Puis, Par dessus bord de Michel Vinaver mis en scène par Christian Schiaretti qui m’a appris les trois quarts de ce que je sais. Ça durait sept heures, c’était un spectacle multiple, avec toutes sortes de comédiens. Je jouais la danseuse chanteuse Yvonne Ravoire, je pouvais improviser pendant sept à huit minutes pour convoquer tous les personnages.

Ensuite j’ai travaillé à Bobigny, à la MC93 pour Jesus Camacho d’après des textes de Francis Marmande mis en scène par Patrick Sommier. J’étais la seule fille parmi les comédiens. La troupe voyageait jusqu’en Chine…. Ce sont de bons souvenirs.

DCH : Mais vous êtes tout de même retournée à la danse…

Guesch Patti : La danse tient pour moi la première place dans ma vie. C’est ma vraie base. Enfant, vers 4 ou 5 ans, j’avais vu Singin’in the rain et j’avais dit à mon père « je veux faire ça ! ». Il m’avait alors dit : dans ce cas, il te faudra partir aux États-Unis. Ma famille était dans l’univers artistique, je faisais un peu de tout, chant, danse, musique, mais ma mère m’a dit un jour : « Il va falloir choisir ». J’ai choisi la danse. Je suis entrée à neuf ans à l’école de danse de l’Opéra.

DCH : Quel a été le déclencheur qui vous a convaincu de revenir à la danse ?

Guesch Patti : En fait, c’est grâce à Jean-Paul Montanari qui m’avait invitée à Montpellier Danse en 92 pour Gobe –  un spectacle assez fou, un genre de concert spectaculaire avec de la peinture faite en direct et un garçon sur scène qui était danseur –  que j’ai renoué avec le milieu chorégraphique. Le final était légèrement chorégraphié et le danseur, Jimmy Smiley, qui venait de chez Larrieu était génial. Du coup j’ai continué à danser quand mes amis m’invitaient, Odile Azagury, Daniel Larrieu qui m’ont remise droite dans mes pieds nus. J’avais besoin de faire une sorte de théâtre dansé mais je ne le savais pas au début.

En voyant les spectacles de Pina Bausch et d’Alain Platel, il y a eu quelque chose qui m’a suffisamment émue pour essayer d’entrer avec beaucoup d’humilité dans une famille de ce genre. Pina a dit deux choses formidables : « Je ne suis pas une intellectuelle mais une femme d’émotions. Je ne peux pas expliquer pourquoi je fais les choses. » L’autre étant : «  Ce qui m’intéresse le plus est d’être dans l’instant présent chaque jour ».

En France tout ce qui est un peu novateur, hors des sentiers battus est un peu suspect. Ici on adore les catégories. Les programmateurs, même les plus sincères, hésitent à programmer un spectacle hors catégories. On est très en retard.

DCH : Vous avez recommencé par être interprète avant de vous lancer dans la chorégraphie…

Guesch Patti : J’ai recommencé vraiment la danse d’abord avec Elle sourit aux larmes (créé en 95, présenté en 2001 au Théâtre de la Ville) avec cinq solos chorégraphiés par Daniel Larrieu, Odile Duboc, Dominique Mercy, Dominique Houbin et Odile Azagury, puis j’ai également participé au projet Princesses de cette dernière (créé à Poitiers en 2008). Ensuite j’ai été conviée à créer quelque chose la soirée en hommage à Pina Bausch à Vanves en janvier 2010.

J’ai enchaîné tout ça très vite et j’ai monté un groupe de travail où l’on devait parler, jouer, danser, dans une sorte d’abstraction construite de bric et de broc, RE-VUe. C’était une histoire improbable, avc des relations tumultueuses, des rencontres. Mais nous l’avons très peu jouée. Le texte d’Edouard Levé qui n’est pas écrit pour le théâtre, c’est un Autoportrait, a été une découverte. Ce qu’on a montré n’était pas totalement fini, mais nous avons obtenu un joli succès aurpès des critiques et des gens du métier. Moi, il fallait que je me fasse réadopter.

 

DCH : Allez vous continuer à la tourner ?

Guesch Patti : Je vais le proposer à un diffuseur avec plus de monde sur le plateau, je vais travailler avec des amis plasticiens qui vont participer à l’acte de création en direct, provoquer autre chose. Ce sera une création qui ne sera pas la même chaque soir. Et puis, bien sûr, je vais convoquer des musiciens. Il y aura des chansons mais ce ne sera pas une comédie musicale. J’aime les spectacles « multiples » qui font appel à toutes sortes de disciplines.

DCH : Vous avez appelé votre création pour le festival Tours d’Horizons, Dans le temps… Pourquoi ?

Guesch Patti : Vive les gens qui innovent un peu. Même en se trompant. Ça nous permet de vieillir avec l’esprit du moment. Ce ne sont pas trois rides de plus ou de moins qui comptent, mais la façon dont on vit dans le temps… présent. Le monde se transforme sans arrêt. Il y a eu l’époque ou même Bartok ou Prokofiev étaient du bruit pour leurs contemporains. Je me souviens des grands-mères aux voix haut perchées… On peut toujours fouiller le passé avec émotion… Mais aujourd’hui on a un autre théâtre, une autre manière de bouger. D’ailleurs, on se meut globalement beaucoup mieux qu’avant.

Je crois qu’aujourd’hui les gens sont mal. Il y a sûrement quelque chose à changer. J’ai l’impression qu’on souffrait moins – je ne parle même pas des années 80 – mais même dans les années 90. Ça fait un moment que la politique n’est sans doute pas la bonne et la Culture en subit les travers. Nos dirigeants restent bloqués dans des formats anciens, que l’on connaît déjà. Quand on a la chance d’être un artiste, on a la faculté de s’échapper. Mais je pense qu’il faut au contraire être très conscient pour entrer dans les vraies questions, mais autrement. Avant, on pouvait se dire qu’on allait rester dans son coin, mais maitenant le monde est ouvert. Et pour moi, c’est plutôt joyeux. On reçoit tout ce Sud qui remonte, c’est peut-être compliqué mais il va falloir trouver des moyens de faire des choses ensemble.

DCH : Comment avez-vous ressenti cette expérience ?

Guesch Patti : Cette expérience au Centre Chorégraphique National de  Tours a vraiment été formidable. J’aime les projets qui rassemblent. J’aime partager le plateau à plusieurs. C’est ce que je n’aimais pas dans le Showbiz, cette conquête, cette compétition. Moi ça me perturbait.  Là, c’était un solo joyeux. Je ne vois pas pourquoi on n’aurait pas le droit d’être dans la joie.

Propos recueillis par Agnès Izrine

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