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« Quatre regards sur le temps »
Belle découverte que ces Quatre regards sur le temps, programmé par le festival Tours d’Horizons.
La soirée réunissait trois créations imaginées à partir d’une commande de Thomas Lebrun, directeur du festival et du Centre Chorégraphique National de Tours, alliant écriture personnelle et musique répétitive, et un impromptu dû à un voyage à Singapour de Thomas Lebrun, conquis par le travail d’une toute jeune chorégraphe : Christina Chan qui avait composé un trio, Between sur des musiques de Smith, Spiegel et Reich.
Tout en demi-teintes, et presque en miroitement, Between, comme son nom l’indique s’attache à mettre au jour les relations qui se tissent « entre » les interprètes. C’est donc de cet espace intersticiel que naît la chorégraphie qui, de ce fait, apparaît en creux du mouvement. Elle crée ainsi une danse dont la gestuelle semble portée par le vent, aussi fragile et résistante que l’air qui tournoie. Sans cesse au bord d’un déséquilibre toujours maîtrisé, le groupe qui se lie et se délie a une sorte de plasticité organique assez fascinante.
Christine Jouve, avec Mes yeux voient à hauteur des racines, dessine à son tour un espace qui palpite sur une musique de John Adams, où le geste semble arriver par irruption, ou par des trouées de silence. Sa danse rigoureuse et abstraite nous entraîne dans les méandres d’une autre histoire, où l’intériorité fait sens. C’est une danse qui fait surgir une sorte de beauté des gestes simples, où le regard est attiré par des détails, des bras qui se croisent, des mains qui s’ouvrent, ou même se prend à suivre la perspective offerte par la ligne d’un bras ou l’horizon qu’indique la hauteur de ses yeux. Peu à peu, on est porté par un temps qui se dilue, se dilate, tandis que la gestuelle de Christine trace le chemin poétique d’un paysage mouvant. Sa personnalité qui semble toujours vouloir s’effacer derrière le geste incite à cette rêverie calme qui nous emmène un peu ailleurs.
La gestuelle portée par Léonard Rainis est presque à l’opposé. Extrêmement complexe, frisant toujours une sorte d’éclatement corporel qui joue avec ce que nous savons intuitivement du corps – c’est-à-dire un tout unifié qui ne part pas dans tous les sens – il perturbe sans cesse notre perception du geste par des mouvements « parasites ». Une trémulation par ci, un déséquilibre par là, et voilà notre certitude de la ligne attaquée de l’intérieur. Les figures classiques ont beau surgir de part en part, rien ne peut contrer ce sentiment de bascule perpétuelle lié, probablement, à des transferts de poids inattendus, l’équilibre devenant alors tout relatif. Cet étrange amalgame entre la rigueur induite par un vocabulaire plutôt formel, et ce bizarre placement du corps qui amène un doute au cœur de la conduite du mouvement est tout à fait savoureux.
Enfin, Guesh Patti se laisse aller à la joie de retrouver la danse. En élans fluides, elle virevolte dans l’espace, comme poussée par le tourbillon que suggère la musique minimaliste de Phil Glass. Légère dans ses tours et ses détours, elle semble parcourir un espace délimité par le temps. D’une certaine façon, elle nous raconte son histoire avec la danse, une histoire d’allers-retours chevillée au corps dont Dans le temps… célèbre les retrouvailles. C’est à la fois joyeux, mélancolique, et surtout profondément ancré dans la vie.
Agnès Izrine
Le 10 juin 2015 - Festival Tours d'Horizons, Centre Chorégraphique National de Tours
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