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« Auto Ficto Reflexo » d’Adam Linder
Adam Linder signe des pièces de danse, mais il est également plasticien, et cet aspect est incontournable dans toute approche de son travail, comme on a pu le voir dans sa création précédente, Vexed Vista.
Cet Australien installé à Berlin fait partie de la génération de trentenaires qui abordent la danse par la philosophie et la réflexion sur ses liens avec d’autres arts, en partant du mouvement. En ce sens, Linder serait un compagnon de route de créateurs comme Noé Soulier, David Linehan ou Tatiana Julien. Aussi, le travail d’analyse est déjà fait. Chacune des six séquences est évaluée sur une grille sur laquelle figurent des facteurs comme rythmicité, prédominance visuelle ou activité contre-linguistique.
Dans Auto Ficto Reflexo, il se permet d’inverser totalement l’ordre temporel qui veut que la danse préexiste à la réflexion sur elle. Linder et son partenaire Justin Kennedy créent un rapport entre le mouvement et un environnement sonore (Adam Günther) basé sur des extraits de textes critiques , d’interviews et autres textes sur la danse, l’art et la critique en général, entre autres de Charles Baudelaire: « …le critique doit accomplir son devoir avec passion ; car pour être critique il n’est pas moins homme, et la passion rapproche les tempéraments analogues, et soulève la raison à des hauteurs nouvelles. »
Les syllabes, les mots, les idées constituent la matière, le support sur lequel Linder fixe les gestes, séquencés selon le même principe, créant les mêmes rapports entre éléments isolés et leur assemblage qui constitue le sens. Le lien entre Linder et Kennedy est aussi indirect et souterrain que celui entre leur danse et les textes, dit en voix off et en anglais. On discerne des racines dans le hip hop ou le voguing, analysés et disséqués mais surgissant dans un état de glisse urbaine qui révèle l’élasticité extraordinaire des corps des deux interprètes.
Sur le plateau de La Dynamo des Banlieues Bleues, entourés par le public sur trois côtés, ils évoluent comme deux entités distinctes et complémentaires, souvent en opposition, après avoir commencé face à face, dans un jeu de percussion corporelles rappelant à la fois les jeux d’enfants et les rituels de saluts des jeunes des cités. L’aire de jeu devient ring de boxe, plateau de télévision ou autre arène contemporaine.
Dans Auto Ficto Reflexo, ce n’est pas Linder, ni Kennedy qui livrent des réflexions sur eux-mêmes. La matière pensante et réfléchie est le mouvement lui-même, soumis au pouvoir verbal des représentants d’un système de production, de diffusion et d’analyse artistique. Que signifie cela pour les danses urbaines? Sur le plateau, Linder, Kennedy et Günther mettent en pratique la confrontation habituellement abstraite et invisible de ses entités. Que reste-t-il alors de la danse urbaine? La pièce, constructiviste mais jamais didactique, en démontre la formidable capacité de résistance.
Thomas Hahn
Création mondiale les 9 et 10 juin à La Dynamo des Banlieues Bleues, Pantin
http://rencontreschoregraphiques.com/
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