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Second volet des Soirées Singulières aux Rencontres

Quatre solos féminins, et à la fin un constat. On ne pouvait dénoter plus radicalement, dans ses modes d'expression et d’analyse, de ceux des chorégraphes-interprètes masculins, également montrés dans le cadre des Rencontres chorégraphiques. Les femmes mettent l'énergie cinétique au centre, le sol leur est un vrai partenaire de jeu et de danse. Les hommes, tels qu'on les a vus au Colombier de Bagnolet, ont fait du corps un outil dans lequel ils implantent un discours alors que les femmes invitées partent de l'intérieur et d'une recherche sur soi, remettant le corps en question.

Brésil

Le solo d'Alice Ripoll, interprété par l'acrobate Camila Moura, se déroule dans l'univers apaisant et réconfortant d'un lieu de vie harmonieux, avec ses poissons rouges, ses fleurs et une chaise qui fait animal de compagnie. Dans cette maison parfaite, la Brésilienne est allongée au sol comme pour se détendre. Mais à son bien-être apparent s'opposent ses contorsions corporelles, traduisant des distorsions intérieures. Et l'étrangeté ne fait que grandir quand Moura se tient, la tête vers le bas, dans la bassine carrée, au plus près des poissons.

Photos © Renato Mangolin

O Principio da Casa dos Pombos est traversé par des possibilités d'identités multiples et variables, concernant la morphologie et l'image du corps. La contorsion devient un langage chorégraphique au-delà de l'exploit acrobatique. L'acquis est intéressant, mais la dramaturgie prend rapidement des chemins trop psychologisants et narratifs autour de conflits intérieurs, alors que la pièce avait tout à gagner à explorer jusqu'au bout le rapport intrigant entre les images de corps étranges et l'harmonie intérieure, arborée dans les premiers tableaux.

Corée

La Coréenne Son Hyejeong, déterminée jusqu’au bout, est d’une trempe radicalement différente et danse avec une volonté presque féroce. Elle aussi est à la recherche d’un ailleurs corporel. Toujours en lutte et en force, Son Hyejeong porte en chaque cellule de son corps le message d‘une discipline absolue et son vocabulaire très répétitif n’y est pas étranger.

Photos © CHOI Sungbok

Le Gungji-Dilemma de cette Amazone passe tel un ouragan. Son costume rappelant des dessous, jouant avec l’idée d’un show érotique, prend des allures d’armure ou de peau de serpent. Elle se frotte au sol qui devient surface pour projections, entre ballet, arts martiaux, animalité, compétition sportive et marche sur les mains. Sa présence et son athlétisme impressionnent, sans que le propos devienne très lisible. Mais ses identités possibles et multiples sont toutes au service d’une étude de caractère passionnante.

Japon

La Japonaise Moto Takahashi parut d’autant plus fragile qu’elle se produisit directement après Son et qu’elle définit très nettement son personnage, avec un côté presque enfantin. Cette jeune femme mélange la danse à des situations plus concrètes et théâtrales.

Photos © Manaho Kaneko

 

À travers des emprunts stylistiques au hip hop, elle dresse le portrait d’une génération déroutée. Aussi, elle se montre marquée par des violences reçues contre lesquelles il est impossible de se rebeller. À la fin elle tombe raide. Son solo tombe juste, à tout égard. Kibou ga doutoka est traversé de bout en bout par un tendre-vers, à la recherche d’une lueur.

France

 

En clôture, Malika Djardi ouvre la voie vers plus d’optimisme et de liberté. C’st pourtant elle qui part, a priori, de la situation la plus difficile, à savoir la sienne. Djardi fait parler sa propre mère (que l’on entend en voix off) de sa vie et de son rapport à la religion, la danse et aux hommes. On découvre ainsi, malgré beaucoup d’ouverture de la part de sa mère musulmane, un clivage culturel fort à l’intérieur de la relation familiale la plus intime qui soit, le rapport mère-fille. Sa prière est un appel à l’authenticité, à aller vers soi-même. Dans ses gestes répétitifs se dessine un lien sous-cutané avec les paroles de sa mère, lien d’autant plus efficace qu’il ne dévoile jamais complètement ses secrets. Quelque chose semble la traverser, l’habiter comme dans le butô. Et pourtant ses gestes sont neutres et sobre, liés uniquement à l’ici et maintenant.

Photos : Christophe Louergli

Après la contorsion de Ripoll, la lutte de Son et la chute de Takahashi le programme Soirées singulières au féminin s’est terminé sur l’envol de Djardi, obtenu grâce à sa sincérité et sa sérénité. Djardi dessine cet aller-vers dont Takahashi porte le rêve, que Son semble vouloir forcer et que Ripoll perd de vue.
Thomas Hahn
1er juin 2015, Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, Bagnolet

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