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Cyndy Van Acker et Albert Quesada

Aux Rencontres de Seine Saint-Denis, la fidèle Cindy Van Acker se confronte à une monumentalité de références philosophiques et déploiement plastique. Et Albert Quesada satisfait les attentes d'une écoute musicale cultivée

Il fallait que ça arrive. On décide de l'assumer. Voici donc où on en est : on pète dans la soie, et en plus on fait la moue.

Péter dans la soie, c'est découvrir et se délecter du talent d'Albert Quesada et des quatre autres interprètes de sa pièce Wagner et Ligeti. Ce jeune chorégraphe nous était encore inconnu. En l'invitant, les Rencontres chorégraphiques internationales de Seine Saint-Denis s'acquittent superbement de leur mission de découvertes et mises en circulations internationales, à laquelle trop d'autres festivals ont renoncé.

Albert Quesada est un jeune Barcelonais, sorti de l'école d'excellence de P.A.R.T.S. à Bruxelles (cela à l'instar de deux des autres danseurs(ses) qui l'accompagnent sur le plateau). Le titre Wagner et Ligeti indique parfaitement la tonalité de sa pièce. Extrêmement savante, d'une culture exquise, elle consiste à tisser des liens – a priori peu évidents – entre les écritures musicales des deux compositeurs. Et ce projet prend forme en animant la multiplicité des corps.

Il faudrait détailler longuement la richesse des matières, la respiration somptueuse de l'espace, la subtilité des dynamiques, qui tendent alors l'écriture chorégraphique. Elle est toute de fin lamellé, variation souple, extrême finesse des jeux d'écarts et de rapprochements. On y voit prendre corps toutes les notions de résonance, d'unisson, de répons et de contrepoint. Les effets sont ceux de déteinte, de contamination, nuances et déliements auratiques.

Tant de qualité est absolument confondante. Et la singularité de cette danse naît de l'espacement instable entre ses deux maîtres référents musicaux, par où elle compose un troisième propos dialoguant, au lieu de ne se soumettre qu'à l'illustration d'une seule source sonore. Intelligence du propos, solidité du savoir, plénitude intense des incorporations interprétatives, enfin maîtrise des agencements et dynamiques collectives : peut-on encore en rajouter pour dire le niveau de perfection qui est ici atteint ?

Photos © Denis Van Laeken

Et pourtant on fera la moue. Car Wagner & Ligeti apparaît décidément comme une pièce bien sous tout rapport, l'un de ces irrpéochables produits certifiés zéro défaut, que l'école P.A.R.T.S. met sur le marché avec une efficacité aussi consommée que sans surprise. On sait toute l'ambition presque folle, évidemment admirable, qui anime l'art de sa fondatrice, Anne Teresa De Keersmaeker. Mais on s'ennuie et s'inquiète à observer ses jeunes épigones, cultivant un savoir-faire souverain, pétri dans une humeur de satisfaction occidentale, éminemment conservatrice.

Dans sa pièce, déjà pouvoyeuse de toutes les satisfactions à attendre de réminiscences de hits de la musique classique opératique (l'ouverture de Tannhaüser, on vous dit pas…), Albert Quesada use, à l'envi, d'effets de freeze à l'impact visuel garanti. Quand ces danseurs experts s'y consacrent, on a l'impression qu'au comble de leur goût de s'exposer, ils offrent en prime la photo qui va avec. Et franchement, on n'a qu'à moitié envie de s'en saisir.

Photos © Gernot Singer

Le même programme, donné au Théâtre de La Commune à Aubervilliers, donnait à découvrir Ion, un grand solo de Cindy Van Acker. À l'inverse du précédent, la danseuse et chorégraphe installée à Genève, est une fidèle régulièrement invitée par Anita Mathieu, directrice des Rencontres. On s'est ainsi habitué à l'extrême exigence partitionnelle de ses compositions formalistes, à l'aspect parfois translucide.

 

Ion tranche sur cette toile de fond. À cet égard, son entrée en matière performative, dès le hall du théâtre, met la puce à l'oreille. On y voit la danseuse extrêmement contrainte, insérée et compactée dans une cage de verre – littéralement, un aquarium (mais sans eau). Comme tatouée à même sa peau, elle se montre là porteuse d'une abondante écriture littéraire et philosophique.

La consultation de la feuille de salle fait apprendre la double référence qui anime cette proposition, à Ninjinski d'une part, à Nietzche d'autre part. La barre est ainsi placée très haut. Trop ? La performance scénique suit, dans la salle. De comprimé qu'il était, l'espace scénographique se fait soudain monumental. Il y a sûrement continuité entre le compactage étouffant initial, et le déploiement presque emphatique qui suit.

Photos © Louise Roy

La tonalité de Ion est bien étrange, quand le déroulé chorégraphique s'en tient de façon minimale à quelques rares attitudes et actions économes très longuement tenues et développées (patientes girations répétitives, suspension tête en bas, enroulement dans un lourd tapis, etc), alors même qu'un impressionnant dispositif lumineux, sonore, et l'effet aveuglant d'un immense tissu-écran déployé soudain, taillent l'espace dans les grandes proportions.

Photos © Louise Roy

La condensation soliste, l'interprétation par la chorégraphe même, l'injonction citationnelle littéraire et philosophique, la consistance insistante des actions, le déploiement des moyens, contredisent l'idée plus cristalline qu'on s'était fait de l'art de Cindy Van Acker jusqu'à ce jour. On ne pourra pas dire que ce Ion parfois presque étouffant, assez autoritaire, nous emporte à tout coup. Mais on lui reconaît la force inattendue d'une prise de risque qui suprend, au fil des tensions d'une recherche jamais démentie.

Gérard Mayen
Le 30 mai 2015 à La Commune, Centre dramatique national d'Aubervilliers, dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine Saint-Denis.

Ion
Chorégraphie, interprétation : Cindy Van Acker
Scénographie, création lumières : Victor Roy
Composition sonore : Samuel Pajand, Cindy Van Acker

Wagner & Ligeti
Conception : Albert Quesada
Création : Albert Quesada, Marcus Baldemar, Eleanor Campbell, Federica Porello, Mireia de Querol, Zoltán Vakulya
Interprétation : Marcus Baldemar, Federica Porello, Mireia de Querol, Albert Quesada, Zoltán Vakulya
Création son : Christian François
Création lumières : Bert Van Dijck
Costumes : Sofie Durnez
Musique : Tannhäuser, Richard Wagner, Lontano, György Ligeti
Illustrations : Gosia Machon
Textes : extraits de répétition avec György Ligeti
Conseil musical : Jan Vandenhouwe, BL!NDMAN
Coach voix : Gunther Vandeven

 

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