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« Pour Dolorès » : Josef Nadj et Ivan Fatjo

Approchant la fin du processus de création, le nouveau duo de Josef Nadj et Ivan Fatjo s'annonce fascinant.

Ça s'est annoncé lors de leur création précédente, ce Paysage inconnu aux accents de Freejazz. La complicité entre Josef Nadj et Ivan Fatjo se bonifie de création en création, se structure, se dépouille et gagne en intensité. À chaque traversée, les paysages intérieurs se font plus aventuriers, plus complexes et deviennent pourtant plus lisibles. Pour Dolorès est aussi limpide et ludique que complexe et jouissif, fascinant et émouvant.

Après avoir dissimulé leurs visages sous un filet dans Paysage inconnnu, Nadj et Fatjo passent au masque plein. Leurs visages figés, aux yeux exorbitants, sont aussi innocents que malicieux, dans un mélange de douceur et de détermination. Nadj a acheté ce masque aux puces et on comprend aisément sa fascination pour son expressivité mystérieuse et mélancolique, où se dessinent étonnement, douleur, choc, doute, force et sensibilité à la fois, annonçant une blessure universelle mal cicatrisée tel un Weltschmerz, cette blessure d'être au monde.  Ensuite, ils ont créé à ce masque un double "qui regarde dans l'autre sens", comme seule différence.

Sculptés dans le bois, ces traits relèvent autant du Guignol que de l'expressionnisme, du Nô que du Manga. Une passion silencieuse s'en dégage qui contraste avec les corps angulaires, vêtus du costume de ville noir que Nadj a imposé comme son emblème et seul habit possible. La mélancolie, déjà sujet dans ATEM (Le Souffle), n'est pas un état d'âme très bruyant. D'où un dosage très économe des gestes musicaux, avec un piano de concert comme tremplin sonore. S'y ajoute ce langage gestuel typique, fait de ruptures et de résistances qui veut qu'on croit apercevoir dans les traits subtilement expressifs du masque une sorte de caricature de Josef, si jamais il lui venait à l'esprit de se grimer en femme.

Fatjo s'étant approprié le langage corporel de Nadj, leur complicité produit un effet de miroir. Chacun se reflétant dans son alter ego, un effet de dédoublement s'ajoute au brouillage des identités sexuées. Mais Pour Dolorès joue avant tout sur l'ambiguïté entre innocence et cruauté. Les deux frères jumeaux sont comme des enfants, poussés par une curiosité naturelle pour explorer les corps, objets et sons qui les entourent.

On joue au chirurgien, on enfonce des aiguilles ou des seringues où on peut, on dissèque les cordes du violoncelle, on commet des atrocités métaphoriques sans s'en apercevoir. L'innocence enfantine ne fait que renforcer le mystère. Nadj et Fadjo nous ramènent ici vers l'enfance, autant que dans l'univers de l'expressionnisme et des films d'horreur. Leur gestuelle prolonge à merveille la gravure sur bois du masque. Et nous ne serions pas dans l’univers de Nadj si la construction des personnages ne passait pas par de petits accents d'animalité, qui surgissent chez lui avec le naturel que l'on sait.

Pour Dolorès renégocie les identités sur plusieurs carrefours, mais la complexité de la construction se double d'une simplicité absolue dans la lecture, ce qui ne permet qu'une seule conclusion: On touche ici, profondément, à quelques éléments-clés du psychisme humain. Donné en avant-première au CCN d’Orléans et ensuite aux Bouffes du Nord à Paris, en avant-première dans le cadre du festival La voix est libre, ce nouveau duo en est presque à sa forme définitive et semble s’annoncer comme une belle possibilité de proposer des formules à géométrie variable, très adaptable aux espaces et aux circonstances.

Ajoutons que Nadj et Fatjo annoncent un masterclass au Festival Mimos (Périgueux), pendant la semaine du festival, à partir du 27 juillet, pour aborder le mouvement Fluxus et son approche qui vise à abolir les frontières entre le quotidien et l’artistique, pour lequel les demandes d’inscription (15 participants seulement) seront reçues jusqu’au 1er juillet.

http://www.mimos.fr/stage/approche-du-fluxus

Thomas Hahn

 

Pour Dolorès

De et avec Josef Nadj et Ivan Fatjo
Compositions : Josef Nadj et Ivan Fatjo
Production Centre Chorégraphique National d’Orléans

Le 30 mai 2015 aux Bouffes du Nord, dans le cadre du festival La Voix est Libre

Création de la version définitive : Festival Traverses, du 25 novembre au 5 décembre 2015, au CCN d’Orléans

 

 

 

 

 

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