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« Light Bird » : Portraits de grues
Luc Petton signe sa troisième et dernière pièce avec des oiseaux vivants intitulée Light Bird dont la Première aura lieu au Théâtre national de Chaillot le 5 mai 2015. Elle fait la part belle à une espèce en danger, la grue de Mandchourie. Rencontre avec des oiseaux d’une rare élégance.
Les grues de Mandchourie ou grues du Japon (grus japonensis) sont un symbole de longévité, pouvant vivre jusqu'à soixante ans et restant en couple avec le ou la même partenaire de la jeunesse jusqu'à la mort. Le mâle et la femelle aiment à se séduire par des rites dansés d’une grâce inégalable. Verra-t-on leurs parades nuptiales sur le plateau dans Light Bird ? Pas sûr, mais leur simple présence est en soi envoûtante. Et puis, dans les pièces de Luc Petton les oiseaux sont libres. Toutes les surprises restent donc possibles. Leurs danses renforcent et maintiennent les relations de couples, comme le montre cette vidéo :
Une espèce en danger
Le projet Light Bird dialogue avec la symbolique asiatique et rencontre l'actualité sociétale française. En effet, l'Assemblée nationale vient tout juste d'accorder aux animaux la qualité d'«êtres vivants doués de sensibilité», au terme de deux ans de débats et d'une lutte avec le Sénat qui a exprimé un avis contraire. Mais au bout de la procédure, la loi française ne considère plus les animaux comme un bien meuble. Parions que, si les parlementaires et sénateurs avaient passé une seule journée en compagnie des grues, des oiseleuses et des artistes de la compagnie Le Guetteur, ces débats se seraient conclus à l'unanimité !
La tournée internationale de Light Bird pourra finalement, espérons-le, contribuer à attirer l’attention sur la situation difficile de cette espèce qui doit affronter la lente disparition de ses espaces de vie. Aussi voudrions-nous ici dresser les portraits des interprètes au plumage noir et blanc (sans oublier le petit chapeau rouge qui leur confère une touche de noblesse), avec l'aide des oiseleuses Pauline Folliot, Dune Pokrovsky et Céline Roger.
Vies de couples
Une grue de Mandchourie pèse autour de sept kilos, « et ce sont toujours les plus lourds qui sont les dominants. » Les six grues qui font partie de l'équipe de la pièce vivent en couples: Sarang avec Atanas, Liao avec Achille, Manju avec Coco. Ces derniers, par exemple, s’appellent par un son strident qu'on appelle la trompette, dès qu’on les éloigne l'un de l'autre.
Le fait de danser en couple est loin d’être le seul point commun entre les grues de Mandchourie et les humains. Si chaque individu a sa personnalité, on note tout de même que « les femelles sont plus timides et se tiennent plus à l’écart, alors que les mâles sont plus dans la démonstration. Les femelles sont aussi les premières à prendre leur bain, alors que les mâles y vont une fois sur deux. » Ces êtres sont généralement curieux et attirés par tout ce qui brille ou émettent des sons et adorent les couleurs flashy. Mais pas que: « Le corps humain les intéresse beaucoup. Dès qu’on s’allonge, les grues viennent chercher entre les cuisses, sous les bras, derrière les oreilles… »
Sarang, Atanas
L'équipe de Light Bird en compte deux générations. Les premiers-nés sont Sarang (Amour, en coréen) et Atanas (l’immortel) qui se sont mis en couple dès la naissance. Madame Sarang ne cesse de nettoyer ses plumes et se présente toujours dans un état impeccable. « Elle est très douce et coquette, mais ne supporte pas qu'on la sépare de son mari. » Timide et facilement surprise, Sarang aime se tenir sur un pied pour cacher sa tête dans son plumage. « Mais si elle est peu accessible, c'est avant tout à cause du caractère très possessif d'Atanas."
Justement, Atanas (L’Immortel) donne tous les signes de ne pas être la femelle qu'on croyait, suivant sa première analyse d'ADN, indispensable chez ces oiseaux pour en connaître rapidement l'identité sexuelle. Et pourtant, l'erreur n'est pas à exclure: « Elle a finalement tous les comportements du mâle ! » Il, ou elle, va donc repasser son test ! Traitons-le ici comme un mâle. « Atanas fait de magnifiques parades à Luc et Pauline. Au Zoo d'Amiens où les six sont logés, il aime monter sur son tronc d'arbre et sauter en l'air pour tirer sur le filet. » Jaloux et possessif, il n'accepte pas tout le monde dans son enclos. Son aspect extérieur lui importe peu. Le nettoyage des plumes n'est pas son affaire, et ça se voit ! Mais la position du dominant n’est pas facile à tenir. « Il est un peu nerveux et se stresse vite, » ajoute Sun-A Lee, l’une des danseuses de Light Bird.
Coco, Manju
Le deuxième couple est celui de Coco et Manju.
Là aussi, c’est la femelle qui tient à sa propreté, à savoir Coco (pas Chanel, mais tout de même « la mannequin du groupe »), alors que son époux préfère la posture du leader qui n’a pas besoin de nettoyer ses plumes. Mais il est gourmand. Il aime par ailleurs défier Atanas et il faut souvent les séparer l’un de l’autre. Avec son bandeau blanc autour des yeux qui lui donne un visage très expressif, Manju est particulièrement photogénique. « Il est plein d’énergie, adore voler et sautiller, souvent au prix de quelques plumes. Quand il marche il est souvent maladroit au point de renverser quelque chose avec ses grandes pattes. En revanche, Il est facile de jouer avec lui et il peut rester concentré longtemps sur un même jeu. »
Et sa Coco ? Une précieuse qui aime replier le cou dans les épaules, formant un « s » élégant et caractéristique. Elle ne cesse de ronronner et adore mettre tous ses jouets à l’eau. « Elle est souvent dans sa bulle et oublie ce qui se passe autour d’elle. Elle a beau être la plus petite, elle ne se laisse pas faire quand on l’approche de trop près. Elle est curieuse, paisible et autonome. Ses collègues humains l’appellent aussi « Princesse ».
Liao, Achille
Reste l’union entre Achille et Liao, elle-même la plus rousse des trois femelles, et la plus lourde aussi. Pas étonnant, puisqu’elle se jette sur le moindre vers. Elle n’hésite même pas à en voler aux autres. Elle aime monter sur le dos des humains, et de manière générale, elle préfère la compagnie des hommes à celle des femmes. Est-ce pour cela que les trois oiseleuses sont unanimes à propos de Liao ? « Une peste, une fourbe! Elle mime la gentille, et prépare un mauvais coup par derrière. » Mais elle est entrepreneuse, « souvent la première à explorer un nouvel objet, alors que les autres sont encore en train de le regarder de loin. » En revanche, aux yeux des danseurs, le top-model c’est elle, avec son plumage à tomber par terre.
À la femme la plus lourde, le galant le plus costaud ! C’est Achille qui adore se tenir très droit, « avec les ailes grandes ouvertes, comme un protecteur ». Son jouet préféré est le klaxon, c’est tout dire. Et pourtant: « Sa position hiérarchique dans le groupe est soumise, c’est le dernier à avoir accès à l’eau et la nourriture. » Et si c’était une attitude de sagesse ? « Il n’est pas gourmand et plutôt solitaire. » Par ailleurs, ses réactions font souvent rire les humains. Mais attention, Achille est en train de devenir un vrai mâle : « Il a commencé sa crise d’adolescence et se sent obligé de réagir au moindre geste. »
Grues et danseurs, on s’apprivoise
La vie avec les grues est-elle pour autant idyllique ? En fait, la rencontre n’est pas tout à fait sans risques. Chaque animal a ses préférés chez les humains et d’autres qu’il n’hésite pas à défier avec son bec. Liao par exemple peut prétendre être totalement détendue, pour passer à l’attaque sans crier gare. Et quand elle attaque, elle vise les yeux ! Comme elle se sent fragile, elle choisit d’attaquer en premier, ce qui la rend assez imprévisible. Avec Achille elle forme un couple redoutable puisque monsieur sait frapper très fort, du haut de ses 7.1 kg.
En général, madame ou monsieur grus japonensis a aussi ses coups de blues ou ses périodes d’exaltation. Ces états d’âmes durent plusieurs jours, « et quand ils sont mécontents, ils savent le faire remarquer. » Les derniers jours de répétition à Chaillot, fin avril et début mai, servent aussi à approfondir et à peaufiner les relations entre les danseurs et les oiseaux. Les oiseleuses qui voient les grues presque tous les jours, et donc plus souvent que les interprètes de Light Bird, en sont arrivées à cette conclusion: « Pour nous, il n’y a plus de barrière entre les humains et les animaux. »
Thomas Hahn
Light Bird – Création au Théâtre national de Chaillot, du 5 au 13 mai 2015
Concept Luc Petton
Chorégraphie, mise en scène Marilén Iglesias-Breuker et Luc Petton
Assistant chorégraphique Philippe Ducou
Recherche en studio Sun-A Lee, Yura Park, Gilles Noël
Scénographie Patrick Bouchain
Musique Xavier Rosselle
Lumières Philippe Berthomé
Costumes Sophie Jeandot
Consultant oiseaux Eric Bureau
Collaboration amicale de la philosophe Vinciane Despret
Avec Sun-A Lee, Yura Park, Gilles Noël, Luc Petton, Xavier Rosselle et les grues de Mandchourie
Production Compagnie Le Guetteur
Coproduction Théâtre National de Chaillot / Espace Jean Legendre – Théâtre de Compiègne, scène nationale de l’Oise en préfiguration / Opéra de Reims / Parc zoologique d’Amiens Métropole / Maison de la culture d’Amiens, centre de création et de production / L'Arsenal – Metz / La Briqueterie - CDC du Val-de-Marne
En partenariat avec l’Institut français de Séoul, le zoo de Lyon – parc de la Tête d’Or, L’Échangeur – CDC de Picardie, le Laboratoire Chorégraphique – Reims
Calendrier de tournée :
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