Tatiana Julien ouvre Instances
Tatiana Julien ouvrira Instances 2014 le 18 novembre avec Ruines, un solo qu'elle crée pour le festival, en collaboration avec Marine de Missolz, femme de théâtre qu’elle rencontra en 2011 lors d’un « Voyage Kadmos ». Nous lui avons demandé de nous parler de cette création.
Danser Canal Historique : Il s'agit de votre premier spectacle grand format où vous êtes seule en scène. Un défi important!
Tatiana Julien : En effet, Ruines fera soixante-cinq minutes. Mon solo précédent, Douve, faisait vingt minutes.
DCH : Le titre renvoie à un sujet qui nous hante de plus en plus, à beaucoup de niveaux. Les ruines nous menacent un peu partout. Mais un titre ne reflète pas forcément le point de départ.
Tatiana Julien : Ruines joue avec la question du vide qui est un moteur puissant pour l’écriture de cette pièce. Il s’agit aussi de faire le vide en soi, de se mettre dans un état de recueillement. Recueillir l’espace, accueillir le vide. Imaginer que le vide nous sert de support, que notre présence est disséminée dans ce vide, que nous ne valons pas plus que le vide. Être l’égal de l’espace, naître que par l’espace. Voilà pour nos sources d’écriture. Reste à voir comment le résultat sera ressenti par le spectateur.
DCH: Comment le projet est-il né?
Tatiana Julien : Il est né suite à la rencontre avec Marine de Missolz. Grâce à sa collaboration, je voudrais essayer de dépouiller ma présence en scène, généralement très chargée d'expressivité puisque la mort et autres sujets tragiques font partie de mon univers. Au sujet de Douve, on parlait même d'expressionisme !
DCH : Vous n'allez pas vous convertir à l'univers cunninghamien pour autant?
Tatiana Julien : Non, et il ne s'agit pas non plus d'aller vers un corps-outil ou de nonchalance. Il y a tout de même de l'émotion et une présence traversée par l'écriture, par un texte qui vient de plus loin. L'interprète que je suis ne se situe pas en possession de l'écriture. C'est plutôt l'écriture qui m'accueille.
DCH : Quels sont les textes de Ruines?
Tatiana Julien : Je dis un extrait du Vice-Consul de Marguerite Duras, de À la lumière d'hiver de Philippe Jaccottet, et Ruines d'Alexandre Salcède et moi-même. Mais on est à la lisière d’une forme concrète basée sur une narration, mais les textes n’en livreront pas les clés.
DCH : Comment avez-vous travaillé avec Marine de Missolz, qui est metteur en scène de théâtre et comédienne?
Tatiana Julien: Nous avons pensé ensemble le sujet et la forme. Elle a pris plus de responsabilités que moi en termes de mise en scène et de dramaturgie, et je me suis plus concentrée sur la chorégraphie. Au final nous sommes arrivées à l'idée de travailler sur la volonté de disparaître, de ne pas être là. La pièce raconte donc toutes sortes de tentatives de disparition.
DCH : L'idée de la disparition de l'interprète passe souvent par celle de disparition de l'image toute entière. Dans le spectacle vivant, il y a actuellement un débat autour du statut de l'image, qu'il s'agisse de la pousser dans ses retranchements visuels ou de mettre en cause, à travers les arts numériques, sa réalité matérielle. Est-ce que Ruines se situe dans la création ou dans la déconstruction de l'image?
Tatiana Julien : Nous travaillons totalement avec l'image. L'une de nos inspirations sont les photographies de Francesca Woodman, une photographe américaine des années 1970. Elle était alors jeune et se prenait en photo dans des paysages étranges ou des maisons en ruines. Dans ces images, elle se représente toujours en train de disparaître. Soit elle se fond totalement dans le décor, soit elle est totalement floue, soit elle vise l'objectif avec un regard d'animal sauvage ne voulant pas être pris en photo. Notre pièce est donc portée par la question de la représentation et par le paradoxe de se mettre en scène, et donc d'être là, tout en voulant disparaître. Inévitablement, la disparition travaille sur l'image et joue avec la destruction de l’image. Et pourtant, indéniablement, longer un mur ou se fondre dans le décor crée une image.
Photos de Francesca Woodman
DCH : La pièce s'articule-t-elle à travers une succession d'images ou à travers une seule image?
Tatiana Julien : Il y a une dramaturgie assez théâtrale, avec beaucoup d'étapes différentes, plusieurs poses et images qui vont révéler le rapport entre l’image et le regardeur, lequel ne sera pas dans un état de contemplation mais dans un processus de perception active, accompagnant ma propre recherche de ma place dans l’espace et donc dans la vie.
DCH : Comment interviennent la musique et les éclairages?
Tatiana Julien : La musique est composée par Pedro Garcia-Velasquez qui a déjà créé la musique pour Douve. Mais contrairement à Douve, nous partons ici sur l'idée que la musique donne vie à un espace puisque la pièce est traversée d'espaces imaginaires, tels une forêt ou une maison en ruines. Ce sont des scénarios musicaux très concrets, révélant ces espaces concrets et théâtraux, qui donnent une matière à ces lieux, mais sans tomber dans un décor sonore théâtral ou du théâtre acoustique. C'est très différent de mes autres pièces. Ensuite, il y a un second univers musical, plus orchestré, qui évoque une sorte de fête macabre, comme une célébration du vide.
DCH : Parlez-nous de votre « Voyage Kadmos » en 2011. Ces rencontres d’artistes ont été initiées par le Festival d’Avignon et son soutenus par la Fondation BNP Paribas. Leur but est de réunir de jeunes créateurs de divers pays méditerranéens.
Tatiana Julien : Le voyage a duré une dizaine de jours. Nous étions une dizaine, gens de théâtre ou de danse, français, libanais, espagnols, marocains et autres nationalités. Marine a été désignée par Stanislas Nordey, moi par Boris Charmatz. À part Avignon, nous sommes allés aux festivals Grec de Barcelone et d'Athènes-Epidaure. Nous nous sommes nourris de spectacles du matin au soir, pour échanger de manière informelle sur ce que nous avions vu. Nous avons rencontré les directeurs des festivals qui nous ont parlé de leurs réalités économiques, entre autres.
Propos recueillis par Thomas Hahn
Catégories:
Add new comment