"Magical" d'Anne Juren et Annie Dorsen
La scène s'ouvre sur un cube qui s'agite tout seul. Une voix radiophonique s'en échappe, celle de l'artiste américaine Carolee Schneemann, parlant de sa performance Interior Scrol, dont le texte en anglais et sa traduction française sont glissés dans le programme. Puis le rideau blanc se referme pour se rouvrir sur une table, une desserte à roulettes, recouvertes d'ustensiles de cuisine et ce qui ressemble à une parfaite ménagère. Cette femme en tablier se livre à un exercice simple de prestidigitation, faisant apparaître et disparaître de l'eau dans un verre puis le verre lui-même tout en nommant chaque objet qu'elle utilise. La séquence fait explicitement référence à une autre performance des années 70, celle de Martha Rosler dans Semiotics of the kitchen, tout comme les séquences suivantes.
La chorégraphe performeuse Anne Juren et la metteuse en scène Annie Dorsen reprennent cinq gestes iconiques de l'histoire de la performance, les décontextualisent et les mettent à distance en les transposant dans l'univers de l'illusion. Les deux artistes posent ainsi la question de la représentation de la femme, du déplacement des enjeux du féminisme, et de leur pertinence aujourd'hui.
Pourtant Magical n'a rien de magique, si ce n'est son redoutable pouvoir de machine à penser et à réfléchir la condition féminine. Ici, le geste n'est pas radical, comme il pouvait l'être à l'époque, volontairement ou par effraction, les années 2010 n'étant pas les années 70, mais détaché. Les « trucs » de magicien sont à peine cachés (Anne Juren est piètre magicienne) et l'humour est omniprésent, comme pour désamorcer la virulence des actes.
La jubilation d'Anne Juren dans l'avant-dernier « numéro » quand elle sort délicatement de son vagin un ruban multicolore puis une guirlande allumée, enfin une mini-caméra qui projette des images d'une autre performance célèbre de Carolee Schneemann, Meat Joy, est visible et même palpable. Tout comme son salut en hommage à Valie Export et sa célèbre Action pants : Genital panic. Ces performances de Carolee Schneemann, Valie Export, Marina Abramovic et Yoko Ono déplacées sur une scène de théâtre, revisitées à l'aune de la magie, prennent une dimension tout aussi politique mais plus subtile.
En décalant le propos, Magical décale les perceptions et les représentations, renverse les codes et les règles. La magie opère comme un philtre. Utiliser l'histoire pour comprendre le présent, et l'illusion pour traquer la réalité.
Gallia Valette-Pilenko
23 septembre, Biennale de la danse de Lyon - Théâtre de la Croix Rousse
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