Lia Rodrigues : "Pindorama"
Lia Rodrigues, eau-delà des apparences
La jeune femme se noie dans les torrents d’un fleuve surpuissant. Nous voudrions lui porter secours, l’arracher à son sort. Mais nous sommes spectateurs, par convention. La fille lutte et nous ne pouvons rien pour elle. Sa mort n’est qu’imaginaire, sa nudité est réelle. The show must go on. Le fleuve? Une bâche qui traverse tout l’espace, divisant le public en rive gauche et rive droite.
Qui s’épuise plus? Celle qui glisse et chute sur des roches, imaginaires? Ou bien les huit agitateurs de bâche, répartis en deux équipes de quatre ? Ce sont eux qui poussent les cris de frayeur, c’est leur émotion qui contamine le public. Le bruissement du plastique est leur œuvre. La fille en dérive devient comme leur marionnette, qui pourtant leur échappe. Sont-ils venus la secourir, ou avons-nous assisté à un "Sacre" aquatique? Au bout du compte, tout le monde se tait. La noyade a eu lieu. Le premier acte s’achève.
Un autre « nous »
Plus que jamais, Lia Rodrigues sait nous embarquer. La bâche ondule, projette des gouttes d’eau sur les spectateurs assis juste devant et produit des sons terrifiants qui vont crescendo. On ne peut faire l’impasse sur une description, puisque Pindorama est bien plus qu’un spectacle. Lia et sa troupe proposent ici une expérience à partager entre spectateurs, voire avec les danseurs;
Quoi de plus vieux, au théâtre, que le tissu agité pour représenter les vagues? Mais où a-t-on jamais ressenti le trouble, la peur, la terreur à ce point-là ? Rodrigues revient au dispositif dans lequel nous l’avions découverte en 2000, dans Ce dont nous sommes faits, où le public était assis au sol, sur les quatre côtés de la salle, partageant avec les danseurs un même espace, ainsi que - tout aussi important - la même altitude et donc la même perspective. Le « nous » y prenait tout son sens et revient ici, renforcé par la nudité qui évoque les peuples premiers et leur supposée innocence. Mais elle est aussi celle de la vérité d’un Brésil actuel qui lutte pour sa survie, au quotidien.
Grandeur et terreur des flots
Construire un spectacle à partir de l’eau est un acte symbolique fort, et Pindorama n’est pas le premier du genre. Robyn Orlin l’avait mise au centre d’un mémorable solo interprété par Sophiatou Kossoko (Although I Live Inside, My Hair Will Always Reach Towards the Sun) et plus récemment, Mourad Merzouki dans Agwa. Quand le changement climatique et la pauvreté se croisent, le temps d’un déluge, les constructions de fortune dans les favelas s’effondrent. Les glissements de terrain font des morts. On peut en avoir quelques impressions dans la deuxième partie de Pindorama. Grave et calme au début, l’ambiance se fait de plus en plus violente. La bâche s’élève au-dessus des têtes d’un groupe de cinq, toujours aussi nus qu’au premier jour. Elle fait gronder le tonnerre, enferme, secoue et propulse chacun. Face au tsunami, ils se soutiennent et luttent ensemble. Mais il n’y a aucune issue pour ces enfants d’un pays que ses habitants originels, les Tupi, appelaient justement Pindorama.
Bombes à eau
La troisième partie se prépare tel un rite. Tous les neuf placent des préservatifs remplis d’eau tiède dans l’espace. Précieuses, ces bulles-là brillent telles des étoiles, mais en même temps elles peuvent paraître un brin menaçantes. On les caresse, tout en songeant aux mines anti-personnel. Le public se lève, se déplace au gré du mouvement des danseurs qui finissent par se déshabiller de nouveau. Roulades au sol, bulles d’eau qui éclatent. Puis ils se rassemblent au centre, comme pour un passage vers l’autre monde. Ainsi solidarisés, ils roulent vers la sortie, dans un mouvement collectif d’une extrême lenteur.
Avec toujours moins de moyens scéniques, Lia Rodrigues sait créer toujours plus d’émotions. Pindorama complète certes le triptyque commencé par Pororoca et Piracema, autres mots tupi. Mais avant tout, Lia boucle ici un parcours de quinze ans de recherche artistique, qui inclut la création de son école de danse dans la favela de Maré, à Rio, ainsi que ses échanges avec des artistes plasticiens contemporains. Le troisième acte de Pindorama est en soi une œuvre de Land Art qui se déploie à travers l’espace, pour s’effacer aussitôt. Dans l’épure et la force, Rodrigues signe ici son passage vers la maturité absolue.
Thomas Hahn
16 novembre 2013 - Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine
Reprises dans le cadre du Festival d’automne
21 au 26 novembre 20h30
Théâtre de la Cité Internationale
17, boulevard Jourdan – 75014 Paris
RER B : Cité Universitaire
Tramway 3 : Cité Universitaire
www.theatredelacite.com
11€ à 22€ // Abonnement 11€ à 16€
28 au 30 novembre 20h30
le CENTQUATRE
5 rue Curial ou 104 rue d'Aubervilliers
75019 Paris
Métro : Stalingrad, Crimée, Riquet
www.104.fr
15€ et 20€ // Abonnement 12€
3 décembre 20h30 (au Théâtre des Louvrais)
L'apostrophe, scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val-d’Oise
L’apostrophe - Théâtre des Louvrais
Adresse : Place de la Paix / Pontoise
RER A Cergy-Préfecture
http://www.lapostrophe.net/
8€ à 19€ // Abonnement 5€ à 14€
Et aussi :
Du 29 novembre au 8 décembre au Théâtre Jean-Vilar de Vitry : accueil de 12 jeunes brésiliens de l'École libre de danse de Maré en formation continue auprès de la Cie Lia Rodrigues + Eliana Sousa Silva la directrice de Redes da Maré, organisation co-fondatrice du Centre d'art avec Lia dans la favela de Maré à Rio.
Jeudi 5 décembre 19h30 - les jeunes brésiliens présentent "Exercicio m" un spectacle créé avec Lia Rodrigues, à partir de son répertoire. EMA, Vitry, entrée libre
Catégories:
Add new comment