Les Adieux d’Isabelle Ciaravola
Trente minutes d’applaudissements tandis que tombent des cintres une pluie d’étoiles sur Isabelle Ciaravola qui vient de danser pour la toute dernière fois le rôle de Tatiana dans Onéguine à l’Opéra de Paris le 28 février dernier. L’émotion envahit la salle comme le plateau. Isabelle Ciaravola a été étoile pendant cinq ans seulement mais a toujours su conquérir son public par son talent de danseuse et de tragédienne.
C’est dans ce même ballet qu’elle avait été nommée étoile le 16 avril 2009, déjà aux côtés d’Hervé Moreau et Mathias Heymann que l’on a retrouvés pour cette soirée exceptionnelle, non pas tant pour l’événement qu’elle représente que pour la beauté de cette représentation palpitante.
Certes Tatiana est le rôle fétiche d’Isabelle Ciaravola et l’on comprend pourquoi. Passer de la jeune fille perdue dans ses livres à la femme sensuelle n’est pas si fréquent dans les ballets. De plus, Tatiana est un rôle qui se mène avec une habileté d’actrice accomplie tant les sentiments qu’elle éprouve sont à la fois simples car universels et complexes car profondément humains. Et dans ce registre, Isabelle Ciarovola est souveraine. Elle ferait même oublier qu’elle danse tant on est captivé par les expressions de son visage et de son corps. En ce sens, elle est l’interprête révée de John Cranko qui savait si bien composer gestes et attitudes pour exprimer un sentiment, une sensation, une intériorité. Le vocabulaire chorégraphique utilisé change peu entre le premier et le dernier acte ce qui se transforme c’est la façon de l’amener, soit les transitions, les postures du corps qui sous-tendent le mouvement. Et oui, Isabelle Ciaravola danse admirablement, a des jambes interminables finies par un cou-de-pied renversant, mais ce qu’elle a surtout c’est un buste qui s’incline avec un je-ne-sais-quoi délicieux ou semble se tordre dans l’enfer de la douleur morale, des bras qui hésitent ou qui donnent et surtout un visge où l’on peut lire toutes les nuances de l’écriture de Pouchkine. Et ça, c’est extraordinaire. À la fin, elle est littéralement déchirante et sa chute une apothéose d’émotion.
Ses partenaires Hervé Moreau (Onéguine), Mathias Heymann (Lenski), et Charline Giezendanner (Olga) étaient à la hauteur de cette soirée unique. Mathias Heyman campant un Lenski attachant, élégant dans sa technique, fin dans son interprétation. Charline Giezendanner étant rayonnante dans la piquante Olga, Hervé Moreau, quant à lui avait toute la morgue et la distinction détachée de ce prétentieux Onéguine. Un peu trop peut-être ? Ou un peu trop tôt. On le déteste d’emblée. C’est dommage car du coup, la séduction ravageuse qu’exerce cet homme sur Tatiana semble moins crédible. Mais, à part cela, il domine parfaitement son personnage.
On regrettera donc le départ d’Isabelle Ciaravola qui a été une étoile aussi filante que fulgurante, en espérant tout de même la revoir ici ou là, et peut-être même en guest à l’Opéra ?
Agnès Izrine
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