Impressions de l’audience de Steven Cohen au Tribunal correctionnel
Steven Cohen était entendu le 24 mars pour sa performance Coq sur le Parvis des droits de l'Homme, place du Trocadéro à Paris. Notre correspondant, Thomas Hahn était présent à l'audience, voici son compte-rendu.
L’audience a eu lieu et le jugement sera rendu le 5 mai, à la 28e chambre correctionnelle de Paris, au Palais de justice. Six semaines de réflexion ! C’est long, mais l’affaire est complexe, ou disons plutôt, embarrassante.
Un artiste devant le tribunal, visiblement intimidé, parlant d’une petite voix… Voilà qui est en soi un événement inquiétant, même si au résultat, le tribunal le relaxait. Parmi les gens venus le soutenir, on trouvait par ailleurs plusieurs personnes ayant programmé ses spectacles, notamment Hortense Archambault, ex-directrice artistique (avec Vincent Baudriller), du Festival d’Avignon.
Steven Cohen est-il coupable d’exhibition sexuelle pour sa performance « Coq » ? « Le délit est constitué », plaide le procureur : « L’artiste ne prend pas conscience de ce qu’il peut choquer. » La défense évoque « la pensée humaniste très développée » de Cohen et le fait que les œuvres d’art sont à protéger. « Et même, dire que le public ne serait pas prêt à voir certaines choses est une injure à l’artiste. » En conclusion, le procureur demande une amende de 1000 euros au titre d’une « peine d’avertissement ». Carton jaune, donc et c’est toujours la menace du carton rouge à suivre.
Mais tous sont d’accord : Le tribunal n’a pas à se prononcer sur la qualité artistique de l’œuvre, ni sur la question de savoir s’il s’agit d’art ou non. Cependant, la question n’est pas ouverte. La traiter comme telle revient à insinuer qu’il pourrait ne pas s’agir d’art! Un contre-sens évident. « Une condamnation reviendrait à nier le statut d’œuvre d’art », selon l’avocate de Cohen, Me Agnès Tricoire, grande spécialiste des questions autour de la censure et le la propriété intellectuelle.
Face à la Tour Eiffel, le pénis…
Dans l’affaire Steven Cohen, le parquet doit aborder des drôles de questions. Selon le procureur, une démarche artistique ne change rien à l’affaire, exhibition est exhibition. Mais qu’est-ce à dire, « exhiber » ? Et par ailleurs, le sexe de Cohen, enrubanné et lié par un ruban blanc à Franck, le coq, était-il « en érection » et « mis en valeur » en tant que tel? Oui, selon le procureur, alors que l’avocate de Cohen, Me Agnès Tricoire, évoque au contraire la mise en valeur d’une « grande fragilité» de l’organe, livrée aux mouvements du coq, à l’autre bout de la laisse et « non capable en l’état d’un acte sexuel ».
Une autre question clé consiste à savoir si le « public » sur le Parvis des Droits de l’Homme était non seulement « surpris », mais aussi « involontaire » ? Le procureur évoque « des parents qui veulent donner une éducation à leurs enfants », subitement obligés d’assister à une scène à connotation sexuelle. « Savez-vous qu’il y a des touristes qui viennent là ? », demande le président du tribunal. La défense évoque le vaste espace de l’esplanade, où chacun est libre de regarder où il veut, et de s’éloigner à sa guise.
Le « public » indifférent !
Contrairement à toute attente, on pourrait ici être tenté de faire un procès d’intention non à Cohen, mais à son « public ». Pour non-assistance ! Car rien de plus grave pour un artiste que de constater qu’on ne s‘intéresse pas à son œuvre. Et que font les passants qu’on voit dans la vidéo, produite à partir de la promenade de septembre 2013 ? La plupart ne tournent même pas la tête. Leur indifférence est totale.
Ou en sommes-nous arrivés en termes d’exposition médiatique aux scènes les plus farfelues ou troublantes, en termes d’insensibilité et d’égotisme, si un personnage comme celui de Cohen, dans une tenue aussi spectaculaire, dans tout son attirail de plumes et de corsetages, ne vaut même plus un regard ? Sauf celui des vigiles et des policiers, et ces derniers finissent par le mettre par terre. Seuls quelques rares passants ont ri un peu, au moins. Mais plutôt du style « regardez ce pauvre pédé ».
La performance de Steven Cohen ne s’adresse pas en première ligne aux trente ou quarante personnes, présentes pendant ces dix minutes, sur la dalle de Chaillot. C’est par ailleurs la seule excuse possible de cette indifférence des passants. Touristes en sight-seeing ou groupe de bonnes sœurs au lointain, tous ceux qui sont venus en groupe continuent à privilégier les liens entre eux. Cohen ne fait aucun appel de pied, ne tente pas de créer un cercle pour se mettre en valeur. Peut-être les touristes sentent-ils aussi qu’ils ne sont pas au centre de l’intérêt du performer. Il n’est pas à exclure qu’à leurs yeux la scène évoquait plutôt un tournage.
Une œuvre médiale
In fine, « Coq » est une œuvre vidéo qui établit un système complexe de signes et de symboles, visibles ou présents dans la conscience collective, à travers les siècles. Le XVIII/XIXe pour la présence de Saartje Bartman, la « Vénus Hottentotte » et son sort, pour la construction de la Tour Eiffel et du Palais de Chaillot (Exposition universelle, largement colonialiste). Le XXe pour le Holocauste et l’occupation nazie de Paris, mais aussi pour le meilleur de la France en termes de valeurs, à travers les citations de Paul Valéry. Et bien sûr, la culture de la revue et les défilés de mode, qui font aussi partie de tout ce qui constitue l’image de la France, laquelle est ici interrogée, à travers l’histoire et l’identité personnelles de Cohen.
En décembre dernier, Cohen déclara : « Quant aux images tournées par nous-mêmes, je ne suis pas encore convaincu que « Coq » ait été une réussite. Paradoxalement, c’est la première fois que je passe devant un tribunal, mais c’est aussi la première fois que j’ai pu conserver les enregistrements vidéo. Alors que par deux fois, à La Rochelle et à Lyon, la police a confisqué les images pour les détruire, mais sans qu’il y ait eu procédure. Heureusement que pour « Coq », grâce à l’ère digitale, ils ne peuvent plus annuler mon travail. »
L’art fragilisé
Cependant, un tribunal peut annuler du travail futur. Le signal émis par une condamnation pourrait susciter beaucoup d’autocensure chez Cohen et tous les artistes, et en même temps encourager les tendances intégristes. L’image de la France à l’étranger en prendrait un coup sérieux. Mais l’affaire montre aussi à quel point Olivier Py a raison d’évoquer un possible départ du Festival d’Avignon si le Front national en venait à gouverner la ville. Des cas de censure contre des artistes par des mairies FN ont fait des vagues dans le passé. Avec un partenaire financeur pareil, un directeur artistique ne serait plus libre de ses choix.
Intégristes et frontistes attaquent la liberté d’expression artistique parce que, comme dans le cas de Cohen, ils prennent pour argent comptant une représentation artistique, y voyant toujours un référent direct, alors qu’il s’agit d’un vecteur artistique créé pour évoquer des questions complexes. La multiplication d’affaires de ce genre révèle un manque flagrant d’éducation artistique, et une régression inquiétante dans la représentation collective de la république.
Thomas Hahn
http://dansercanalhistorique.com/2014/03/24/dernieres-actus-steven-cohen/
http://dansercanalhistorique.com/2014/03/24/cest-aujourdhui-que-steven-cohen-est-juge/
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