Entretien : Yuval Pick
Dans Ply, pièce pour cinq danseurs créée à la MAC de Créteil et présentée à la Biennale de Lyon, le lien entre l'univers sonore et les corps évoluant sur le plateau est d'une organicité hors du commun. La musique en acquiert une présence quasiment matérielle. C'est aussi un bel exemple de la contrainte formelle devenant une source d'inspiration. La façon de toujours recombiner les articulations des membres, de l'espace et du temps est imprévisible, du début à la fin. Aussi, Ply n'est pas sans lien avec Empty Moves de Preljocaj, avec la recherche d'Emanuel Gat ou, surtout, de Maud Le Pladec, dont on peut voir Democracy à la Biennale. Bienvenue au laboratoire de Yval Pick, au CCN Rilleux-la-Pape.
Yval Pick, pendant que je regardais Ply, je vous imaginais face aux danseurs, en train de les diriger tel un chef d'orchestre!
La partition technique du mouvement me fascine, c'est ce que je travaille inlassablement avec les danseurs. Ensuite ils s'approprient le vocabulaire que nous avons élaboré. Chaque interprète a son vocabulaire.
En effet, on peut ici vraiment parler d'interprètes! Au sens musical, même. Chacun est comme un instrument dans un orchestre de chambre.
En travaillant sur les mêmes matières dans des rythmes et proximités différents on crée de nouveaux espaces, pour et entre eux. C'est l'espace "entre" qui me fascine, ces champs magnétiques et élastiques.
Dans Ply ça se passe même à deux niveaux, entre les interprètes et entre chacun et la musique. Ils se fixent des yeux et établissent une communication immédiate. Sont -ils libres pour improviser ou est-ce que tout est écrit?
Tout est écrit, tout...
...parce que dans le cas contraire, quelqu'un pourrait rater le rattrapage d'un autre, en train de tomber la tête vers le bas?
Exactement. Par contre, dans l'interprétation et l'approche rythmique, ils disposent d'une vraie liberté. Il n'y a pas qu'une seule manière d'exécuter un mouvement.
Le spectacle peut donc créer des énergies différentes d'un jour à l'autre? J'ai trouvé qu'à des moments ils y allaient un peu trop fort vis à vis de la musique. Un autre jour, ça pourrait donc se produire à un autre moment?
Exactement. C'est mon travail de maintenir ce niveau d'exigence par rapport aux états de corps, aux décélérations et accélérations, à l'interprétation des rythmes et des accents. C'est ce qui crée ces champs magnétiques "entre". Une certaine instabilité est inévitable. Elle fait partie de ma quête d'une transformation de la matière en temps réel. A recréer pendant chaque représentation!
La pièce est très exigeante pour le corps, j'ai été frappé par l'élasticité des têtes qui rebondissent telles des balles de tennis. C'est très concret et abstrait à la fois. De la même façon, l'univers sonore répétitif est très imagé.
Ashley Fure travaille avec l'Ircam et habituellement je trouve que leurs recherches n'habillent pas très bien la création chorégraphique. Mais chez elle j'ai découvert une vraie poésie. Je lui ai proposé de travailler sur la transformation. Et elle a répondu: J'ai envie de travailler sur un corps végétal qui envahit l'espace qui se transforme en un corps âpre. C'est un univers sonore matériel et sensuel.
De temps en temps j'avais l'impression que tout partait d'une entité supérieure, à l'origine des sons et des mouvements. La compositrice a-t-elle eu connaissance du matériel chorégraphique en composant la musique?
La matière sonore de départ sont des enregistrements des corps des danseurs ! Toute la musique a été écrite au fur et à mesure, au cours de la création. Aussi y a-t-il quelque chose qui dépasse les individualités, alors qu'elles restent très visibles. Je ressens vraiment quelque chose de spirituel à la fin de la pièce.
On voit souvent deux états de corps différents en même temps, ce qui fait que la danse révèle la musique sous deux angles. Elle est comme suspendue entre ces propositions chorégraphiques.
Pour moi, le mot-clé est "rebondissement". Nous créons des situations chorégraphiques dans une sorte de ping-pong, parfois au ralenti, parfois dans un temps beaucoup plus concentré. Déplacement des personnes, déplacements des haut-parleurs portatifs.
Est-ce que cette recherche sur la relation danse-musique est aujourd'hui au coeur de votre projet pour le CCN Rilleux-la-Pape?
Non, c'est autre chose. Je suis fou amoureux du vocabulaire du corps et depuis quelque temps je suis tout aussi fasciné par la grammaire du mouvement. Ensemble, ça forme la matière de la danse. J'avais commencé par des recherches sur le vocabulaire de la danse folklorique, qui était ma base. Ensuite j'ai travaillé sur la chute et la reconstruction, ensuite sur la respiration, toujours à la recherche de mon essence comme d'un sachet de thé qui infuserait en moi. Ply se situe au bout de cette trajectoire vers l'essentiel, à savoir comment l'essence matérielle du mouvement amène l'immatériel. Ca ne se fabrique pas, il faut le trouver, l'identifier.
Propos recueillis par Thomas Hahn
Du 15 au 17 octobre au CND, Pantin
Du 18 au 19 novembre Total Danse, La Réunion
17 mars, Rive Gauche, Saint-Etienne du Rouvray
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