Entretien : José Montalvo
Asa Nisi Masa dont nous avons vu la première au Théâtre national de Chaillot s'installe à Suresnes du 5 au 7 décembre prochains, l'occasion d'interroger José Montalvo sur cette création, estampillée Jeune Public, mais qui plaira tout autant aux grands !
Danser Canal Historique : José Montalvo, pourquoi avoir appelé votre création Asa Nisi Masa ?
José Montalvo : Asa Nisi Masa est la formule, qui dans le film de Fellini Huit et demi permet au héros de replonger dans son enfance, est la version moderne de l’éternel « Il était une fois ».
En fait, le point de départ de cette création était de retrouver l’enchantement de l’enfance. En me replongeant dans mes souvenirs, je me suis revu montrer de la danse flamenco à un auditoire d’ours en peluches. Du coup, j’ai essayé de me projeter dans le rêve de cette petite fille, qui doit avoir le vingtième rôle dans Huit et demi, et qui fait des signes énigmatiques avant de plonger dans le sommeil. J’ai donc imaginé un enfant auquel on aurait raconté des contes qu’il aurait mélangé avec les souvenirs de spectacles récents, de danse, ou peut-être de cirque… Car pour moi, la danse c’est le jaillissement de la vie.
DCH : Dans ces rêves, appraît aussi tout un bestiaire étonnant, qui d’ailleurs donne toute sa saveur d’enfance à ce spectacle…
José Montalvo : Les animaux qui apparaissent ont été filmés, pour la plupart, au zoo de Beauval. Ensuite nous avons mené avec les vidéastes et l’infographie toutes sortes d’opérations pour qu’ils fassent partie intégrante d’Asa Nisi Masa. Nous les avons détourés image par image pour les recontextualiser. Parfois on les démultiplie, on les décale… C’est un énorme travail, qui demande beaucoup de patience pour arriver à un résultat ludique et enchanteur. Mais, pour moi, cette présence animale est aussi très liée à l’enfance. On a tous eu des animaux en peluches, des doudous, mais nous avons tous été émerveillés par notre première visite au zoo en découvrant ces animaux étranges que nous voyions pour la première fois.
DCH : Votre chorégraphie fait-elle, comme toujours, appel à des formes de danse multiples, avec des danseurs d’horizons divers ?
José Montalvo : Dans la danse, j’ai voulu rester fidèle à mon projet de constituer un ballet avec des pratiques hétérogènes. Aujourd’hui, les pratiques corporelles sont celles de métissage. Les jeunes danseurs sont formidables, ils sont capables de passer du classique au popping, ils ont une multiplicité de disciplines dans leurs bagages. À l’image, au fond, de notre société diverse, métissée, haute en couleurs. Donc Asa Nisi Masa rend compte de cela. Chorégraphiquement, j’ai choisi de m’appuyer sur les éléments fondamentaux du langage chorégraphique, le rythme, l’espace, le temps, l’énergie, tout en gardant les différentes formes de danse qui correspondent à ce qu’est la danse d’aujourd’hui. Je voulais voir jusqu’où on pouvait aller en gardant ces éléments et en cherchant ce qui est commun d’une pratique à l’autre pour garder une cohérence. Il faut donc décortiquer ce qui les constitue pour ensuite construire une chorégraphie qui intègre ces langages communs tout en gardant une grand liberté de formes. Par exemple, en cherchant quel est le rythme commun entre les frappes du flamenco et le travail sur pointes…
DCH : Et pour la musique ?
José Montalvo : Pour la musique j’ai demandé aux danseurs quelles ont été leurs premières grandes émotions musicales, lorsqu’ils ont pris leurs premiers cours de danse. Du coup, on a eu beaucoup de Brahms, notamment les Danses Hongroises, mais aussi La Mort du cygne, du Carnaval des animaux de Saint-Saens, ou des musiques africaines très connues. Ensuite, j’ai voulu élargir les sources d’inspirations afin que chaque musique puisse évoquer des nuances, qui sont pour moi les couleurs du monde ou la couleur de chaque partition.
DCH : Pourquoi êtes-vous si attaché à cette diversité de cultures et de techniques dans vos chorégraphies ?
José Montalvo : En fait, je crois que j’ai été marqué profondément, lorsque j’étais enfant, par les fêtes des vendanges dans mon petit village d’Arzens, près de Carcassonne. Il venait des gens de partout pour faire les vendanges, des Italiens, des Espagnols, des gens d’Afrique du Nord… et tout le monde dansait et s’amusait pour la fête, chacun ayant son instant virtuose. Ma mère était danseuse de flamenco et très motivée pour organiser tout ça. Adulte, je me suis rendu compte qu’il y avait des romanciers ou des architectes qui mélangeaient aussi les codes et les genres pour sortir de la normalisation de l’art et du monde. Du coup, c’est une idée forte de l’univers de l’enfance couplée à une réflexion d’adulte qui m’ont poussé à créer cet imaginaire et cette façon de comprendre la danse.
DCH : Asa Nisi Masa s’adresse-t-elle seulement à des enfants ?
José Montalvo : Asa Nisi Masa a beaucoup changé depuis la création. D’une petite pièce de 35 minutes, nous sommes passés à une pièce d’une heure, qui, bien sûr, reste pour les enfants, mais convient tout aussi bien aux adultes qui veulent retrouver leurs émotions et la fraîcheur de l’enfance, ou qui aiment la diversité du monde et des approches.
Pour moi, le plus important, c’est de retrouver le plaisir que l’on a de danser, le jaillissement des premières émotions et la clé, pour un danseur, ou pour un chorégraphe, c’est d’essayer de conserver cette spontanéité !
Propos recueillis par Agnès Izrine
Au théâtre Jean-Vilar de Suresnes, du 5 au 7 décembre 2014 http://www.theatre-suresnes.fr/2014-asa-nisi-masa
Lire la critique http://dansercanalhistorique.com/2014/10/16/asa-nisi-masa-de-jose-montalvo/
Add new comment