Emmanuelle Huynh à Instances
Emmanuelle Huynh présentera dans le Festival Instances, à l'Espace des Arts de Chalon-sur-Saône sa dernière création Tozaï! ... Nous l'avons rencontrée à cette occasion.
Danser Canal Historique : Le titre de votre nouvelle pièce, Tôzaï!..., est japonais. Que signifie-t-il?
Emmanuelle Huynh : Il s'agit d'une référence au moment de l'ouverture du rideau dans un spectacle de bunraku, où chaque représentation commence par une chorégraphie de la préparation. C'est un cri poussé par les accessoiristes au Bunraku et au Kabuki à l'ouverture du rideau. Il signifie "d'Est en Ouest". Je pense qu'il fait référence aux théâtres anciens qui s'arrêtaient dans les villages où les bateleurs appelaient les gens à venir voir le spectacle: "D'Est en Ouest, venez voir ! D'Est en Ouest le rideau s'ouvrira!"
DCH : Le début d'une représentation est ritualisé presque partout, sauf en Occident, où la mise en condition du spectateur est réduite à un noir assez bref.
Emmanuelle Huynh : Au Japon, j'ai eu beaucoup d'émotions à l'ouverture des spectacles, quand on nous dit : Ça arrive, ça arrive... Et le rideau s'ouvre, tombe, se translate. Il y a souvent un premier lourd rideau d'apparat proche de la tapisserie qui accueille l’entrée du public. Il disparaît verticalement, par le haut des cintres, pour découvrir un rideau rayé vert, noir, rouge qui disparait à son tour. Apparait alors un rideau noir. Cette ritualisation est d'une telle beauté que j'en pleure presque, à chaque fois. Je me suis donc dit qu'il fallait faire une pièce où l'événement principal est le fait de se préparer. Voilà ce qui est le cœur de Tôzaï!... J'essaye de faire une pièce qui soit une préparation à quelque chose qu'on ne verra pas. Comme si ce spectacle, et le théâtre dans son ensemble, étaient une préparation à vivre. Dans Muâ déjà, je me suis intéressée à l'avant des choses, à ce qu'il y avait avant la lumière, avant l'image, et aussi à mon "avant" biographique, à savoir le Vietnam. Dans Tôzaï!..., il s'agit peut-être de "l'avant" au théâtre.
DCH : Cette préparation à quelque chose qu'on ne verra pas, sera tout de même visible dans une forme chorégraphique ?
Emmanuelle Huynh : Les danses vont tomber des rideaux et circuler entre les souvenirs et leurs incorporations. Il y aura des danses de Josephine Baker ou d'Isadora Duncan et beaucoup d'autres, mais ce seront des danses instables. La pièce aura une part nostalgique, ce sera une pièce sur ce que nous pouvons vivre et faire grâce à nos sens, une façon de dire l'ici et maintenant à l'ère du numérique.
DCH : Comment avez-vous commencé à vous intéresser au Japon ?
Emmanuelle Huynh : À l'origine, j'étais très tournée vers l'Amérique, avec un intérêt particulier pour Trisha Brown. Aussi, j'ai publié un livre sous forme d'interviews d'elle. Mais en dirigeant l'école du CNDC, j'ai été obligée de me décentrer de mes chemins personnels car une école, c'est l'altérité. J'ai donc proposé à d'autres artistes de repenser cette école avec moi et j'ai tourné mon regard vers le Japon. J'ai invité chaque année les artistes butô Ko Murobushi et Akira Kasaï et j'aurais d'ailleurs continué à le faire si j'étais restée en place à Angers. Je suis allé au Japon en 2000, par intérêt pour cette culture et grâce à une bourse de la Villa Kujoyama. Depuis 2001, j'enseigne chaque année à Kyoto, au sein de l'organisation du chorégraphe Kosei Sakamoto avc qui j'ai créé en 2008 la pièce Monster Project, avec une partie chorégraphiée par lui, l'autre par moi, avec une danseuse japonaise et une française.
DCH : Vous avez créé plusieurs pièces avec des artistes japonais...
Emmanuelle Huynh : La première, donnée également en France, était Shinbaï, le vol de l'âme, avec la maîtresse d'Ikebana Seiho Okudaira. J'avais envie de faire se rencontrer des processus de fabrication et des façons de composer qui ne sont pas ceux de la danse, à savoir l'Ikebana, la menuiserie et la cuisine.
En 2009, j'ai invité Akira Kasaï à donner sa très belle pièce La révolution des pollens, où je ne saisissais pas du tout comment il bougeait. Cela m'a donné envie de créer une pièce avec lui qui met en scène la rencontre de deux personnes aussi différentes, en essayant d'entrer dans la peau de l'autre pour le comprendre. Ce duo s'appelle Spiele, parce que nous nous parlons en allemand, seule langue que nous maîtrisons tous les deux.
DCH : Qu'est-ce qui vous attire en particulier dans la culture japonaise ?
Emmanuelle Huynh : J'aime la manière très raffinée qu'ont les Japonais de penser l'art, où une extrême simplicité permet d'envelopper et de cacher un excès énorme. Je m'y sens très baroque, dans un dépouillement total. Ce dépouillement autorise tous les excès ! Je suis fascinée par l'aspect définitif de toutes leurs pratiques. Dans le Nô, par exemple, vous avez cette capacité à rester immobile ou de rester dans quelque chose de contenu. Ça correspond peut-être à ma respiration.
DCH : Vous vous sentez en phase avec le Japon ?
Emmanuelle Huynh : J'aime profondément ce pays, au point que je suis allée le retrouver même quand on m'a demandé de travailler aux États-Unis. J'ai accepté une carte blanche à New York dans le cadre d'un projet intitulé Collection, qui consiste à créer un portrait de la ville, à travers certains habitants. J'ai choisi, entre autres, la chorégraphe japonaise Eiko Otake, qui vit à New York depuis quarante ans, tout en restant profondément japonaise !
Mais il y a aussi des choses que je déteste dans la société japonaise actuelle, surtout comment une clique d'hommes politiques, âgés et népotiques, empêchent la société, et surtout les jeunes, d'avancer. Cette société est complètement bloquée ! En créant et enseignant au Japon, je voudrais aider les Japonais à se départir de réflexes qui sont liés à leur éducation et de blocages érigés par le pouvoir. Les artistes ont un rôle à jouer dans ce contexte.
Propos recueillis par Thomas Hahn
18 novembre 14, Festival Instances / Espace des Arts scène nationale, Chalon-sur-Saône
Tournée
6 janvier 15, Bonlieu Scène nationale, Annecy
27 janvier 15, L’apostrophe – scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise
7 et 8 février 15, Week-End Danse à La Ferme du Buisson dans le cadre des Instantanés Danse, un événement d’Arcadi Ile-de-France
4 et 5 mars 15, MC2 Maison de la Culture de Grenoble
8 avril 15, Espace Malraux Scène Nationale de Chambery et de la Savoie
10 avril 15, Festival A Corps / TAP – Théâtre Auditorium de Poitiers
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