Claudia Triozzi, « Boomerang ou “le retour à soi“ »
Ce que fait un boomerang, tout le monde le sait : il revient vers celui qui l’a lancé et parfois même, lui démolit le portrait tout comme le retour du Refoulé. Le Boomerang de Claudia Triozzi a cette faculté de faire revenir à elle des récits éclatés, sans rapports les uns avec les autres sinon l’essentiel, à savoir les pensées enfouies, sinon inconscientes de Claudia.
Dans un précédent opus, La thèse vivante, Claudia Triozzi questonnait différentes personnes de façon frontale, critiques d’art, artisans, bouchers, écrivains, pour tenter de cerner son métier en le confrontant à d’autres regards, d’autres savoirs-faire. Mais cette fois, c’est elle l’objet et le sujet de la pièce. Et comme elle est avant tout danseuse, elle sait déjà ce que c’est d’être et d’avoir un corps. Alors elle passe par la parole pour aller fouiller au plus profond de son intimité. C’est plus dur. Et plus risqué.
Dans une structure métallique qu’une femme (Anne-Lise Le Gac) presque à son opposé s’ingénie à démonter, sans le moindre état d’âme, Claudia Triozzi est couchée, tendue sur une planche, la bouche ouverte, prête à proférer des cris, symptômes d’un déchirement en cours, ou à venir. Naissance ? Mort ? Agonie ? Toutes les images traversent l’esprit en voyant cette femme prisonnière d’elle-même et peut-être de ses peurs dans cet enchevêtrement de barres de métal rigides, inhospitalières sinon menaçantes. Claudia parcourt le plateau, chante, crie, tire sur tout ce qui bouge, enfile une armure de guerrière de la beauté ou de la meurtrissure... Et part en interroger d’autres – qui apparaissent sur des écrans vidéo –pour revenir à soi… d’où l’effet boomerang.
Sont convoqués, une ancienne Miss italienne, devenue actrice à Hollywood, un archéologue qui parle des représentations sexuelles préhistoriques, un spécialiste des nœuds, un adolescent qui doit décrire le visage de l’amour, une jeune danseuse classique aux prises avec le miroir, mais aussi des voitures à la ferraille, des ouvrières en Italie… Des mots, des visages, des émois volés, voilés… Autant de portraits en quête d’auteur, de personnages que la chorégraphe, plutôt qu’endosser, interroge. Comme si ces éclats de vie, ou de mort, pouvaient résoudre le mystère où elle s’origine. D’ailleurs, de coups de feu(x), en coups de gueule, la voici qui exhibe son dos orné d’une vulve, tandis que le sang coule entre ses cuisses.
Pendant ce temps, le bras impressionnant d’une machine de fête foraine, envoie en l’air des amateurs de sensations fortes, tandis que le bras de la broyeuse écrabouille la voiture… C’est à la fois poignant et dérisoire, comme les mots auparavant, comme les gestes accumulés par Claudia et Anne-Lise Le Gac, comme la vie même.
Agnès Izrine
15 novembre 2014
T2G Théâtre de Gennevilliers Centre Dramatique National de création contemporaine, dans le cadre du Festival d'Automne à Paris
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