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Ballet national de Marseille : « Tamago » / « Metric Dozen »

Alors que la troupe marseillaise est en pleine transition de l’ère Flamand à l’époque Greco/Scholten, elle propose une soirée de deux créations soulignant ses ambitions interculturelles.
Le contraste ne saurait être plus grand, pour ce programme partagé entre le Japonais Yasuyuki Endo, danseur au Ballet national de Marseille, et Richard Siegal, ancienne vedette de la Forsythe Company. Lyrisme et romantisme s’opposent à rigueur, isolement dans la masse, jeu avec la contrainte.
 

 

Le tambour taïko
De durée égale, autour de 25 minutes, Tamago et Metric Dozen soufflent le chaud et le froid, à l’opposé des stéréotypes. Leonard Eto joue du tambour O-taïko comme si cette musique était née à travers une école chorégraphique. A plusieurs reprises, l’énorme cercle vertical du tambour occupe le centre du plateau et sa peau claire symbolise l’univers.
L’ambiance nocturne se prête à jouer sur des ambiances romantiques, au clair de lune, en fond de scène. Aussi, un pas sur pointes ou un développé de la jambe ne sont plus une prouesse technique, mais un moyen de transfigurer l’humain. Quand les corps s’imbriquent, ils donnent naissance à des créatures mythiques, comme si nous étions venus surprendre Diane en son intimité.
Certes, Endo le chorégraphe n’entend pas évoquer un mythe précis, mais Eto le musicien parle volontiers des origines cultuelles et religieuses de l’instrument. Sa musique était employée entre autres pour solliciter une bonne récolte. « Aujourd’hui le taïko est devenu un divertissement trop spectaculaire, et je veux revenir aux sources », dit cet héritier d’une longue histoire artistique familiale.
L’axe Marseille-Amsterdam
A Amsterdam, le hasard fait bien les choses. Car le Ballet national de Marseille était invité au festival Julidans dirigé par Anita van Dolen, pour présenter ce double bill quelques jours après la création mondiale au Festival de Marseille, lieu d’une lutte acharnée des intermittents et précaires. A un cheveu près, la création mondiale aurait eu lieu aux Pays-Bas.
Le lendemain matin Emio Greco et Pieter C. Scholten, évidemment venus assister à la première hollandaise de « leur » troupe, partirent par ailleurs pour Marseille, où ils vont présenter, en octobre ou novembre, leur projet pour la troupe.
Au Stadtschouwburg, théâtre principal de la capitale néerlandaise, le public amstellois applaudissait debout après chacun des deux spectacles, et s’est montré particulièrement impressionné par Metric Dozen.
Les arpenteurs noirs
Costumes noirs et scintillants épousant les lignes du corps, un groupe de danseurs organisé tel un bataillon militaire, une chorégraphie basée sur la marche. Marche tonique, ponctuée par des explosions sonores à la Tom Willems. Dynamisme à la limite de la menace. Rigueur absolue. Mais à travers cette discipline absolue, la chorégraphie évoque la fête.
 

 

Seules leurs jambes sont nues, et ça produit un effet à la Edouard Lock. Au début, ils marchent tels des mannequins. Voguing et Dancehall semblent entrer par la petite porte. Mais il faut attendre longtemps pour que leur danse se fasse moins formelle, moins angulaire.
 

 

La rigueur et la précision de tous les éléments nous disent bien que Siegal a reçu une formation de pointe chez Forsythe, derrière lequel se profile bien sûr encore et toujours l’héritage de Balanchine, sans oublier Cunningham. Et il est troublant de constater que Metric Dozen joue du même contraste entre rigueur et plaisir, qu’elle part sur la même idée de contrainte et de mouvements robotisés que House de Sharon Eyal, créé à Montpellier Danse.
Eyal avait par ailleurs commencé ces recherches avec Corps de Walk, sa création pour Carte Blanche, la compagnie nationale norvégienne. Et si l’idée de partir sur l’unisson pour le déconstruire lentement, de kloner les individus, de travailler sur leur résistance à l’uniformisation, était une stratégie employée, sciemment ou inconsciemment, quand un chorégraphe invité approche une compagnie aussi importante?
Un diptyque, malgré tout
L’époque actuelle est celle d’une remise en cause du statut de l’humain, à la fois dans sa relation aux origines animales (créationnistes, philosophes, spécistes/anti-spécistes) et face à l’hybridation homme-machine qui ne cesse de progresser, avec les espoirs et les inquiétudes qu’elle suscite, jusqu’aux scénarios de conflits entre armées de clones. La soirée Endo-Siegal qui n’a pas de titre (et c’est bien dommage) évoque les deux axes de réflexion. Dans les deux pièces, les danseurs évoquent des créatures hybrides, aux frontières de l’humain.
 

 

La mise en scène de la musique va dans le même sens. Elle devient ici un élément dramaturgique à part entière. Après tout, si Cunningham a libéré la danse contemporaine du joug des mesures musicales, le véritable sens de cet acte est dans la liberté à créer de vraies relations multidirectionnelles entre le son, l’espace, le temps et le mouvement.
 

 

Dans les deux pièces, la musique émane d’une puissance supérieure, qu’il s’agisse du tambour d’Eto ou des raids sonores fracassants chez Siegal. Lié à des effets d’éclairage, le son sculpte l’espace. Dans Tamago (le titre évoque l’œuf), le grand tambour est potentiellement lié à une cosmogonie, ou du moins à l’origine d’une vie individuelle. « Une nouvelle créature est née », indique Eto. Dans Metric Dozen, le son représente un régime de domination plutôt politique, technologique et contemporain. Cette soirée qui commence par les origines et se termine par un scénario plutôt sombre est porteuse d’une vraie réflexion sur l’humanité.
Thomas Hahn
 
Metric Dozen
concept & chorégraphie Richard Siegal
assistante chorégraphique : Paula Sanchez
musique : Lorenzo Bianchi Hoesch
lumières : Gilles Gentner
costumes : Alexandra Bertaut
25 mn
création mondiale le 8 juillet 2014 au Silo - Marseille, dans le cadre du Festival de Marseille
 
 
Tamago
Concept et musique originale Leonard ETO
Chorégraphie et mise en scène Yasuyuki ENDO
Interprétation Yasuyuki ENDO, Ji-Young LEE, Malgorzata CZAJOWSKA, Nonoka KATO
Création mondiale le 4 avril 2014 à la Maison de Cultures du Japon, Paris

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