« Archive » d'Arkadi Zaides
Le chorégraphe conduit une austère auscultation, à même son propre corps, des marques de la violence qui imprégne, selon lui, toute la société israélienne.
C'est sous protection policière serrée que s'est déroulée la première représentation parisienne de la pièce Archive, du chorégraphe israélien Arkadi Zaides. Une officine sioniste d'extrême-droite avait adressé des menaces très directes à la direction du Théâtre national de Chaillot pour faire annuler ce spectacle. Direction qui faisait remarquer que – toutes proportions gardées quant aux conséquences effectives – pareilles menées participent de la même essence que celles conduites à Charlie Hebdo : soit la détermination à interdire toute expression contraire à celle de ses propres convictions. Des soirs comme ceux-là, s'asseoir dans un fauteuil au spectacle rapproche des enjeux des Lumières, et fait envisager tout ce qui les menace.
Arkadi Zaides se distingue dans le paysage chorégraphique israélien. Certes, la plupart de ses confrères y sont plus proches du camp de la paix que de celui des faucons, mais s'en tiennent sur ce point à la formulation convenue de messages de bonnes intentions. Zaides, lui, transporte au cœur de son geste chorégraphique l'impact mortifère des tensions violentes dont il est convaincu qu'elles travaillent au plus profond la société israélienne.
D'où le parti de son solo Archive, qui s'appuie sur des images filmées au jour le jour, sans aucune prétention artistique, ni même journalistique, par des habitants palestiniens de Cisjordanie. Une association israélienne de défense des droits de l'homme leur a distribué des caméras vidéos à cet effet. Qui s'attend à y trouver de terribles scènes de violence spectaculaire sera déçu. Ces images sont celles d'une violence perlée au quotidien, parfois portée par des ados, si ce n'est des bambins – alors dérisoire, ou d'autant effroyable ? - dans une situation littéralement gangrenée, pourrie, par la cohabitation avec des colons dont la présence vaut occupation.
Qui s'attend à ce que l'artiste déploie un vibrant plaidoyer pour dénoncer cet état de fait, sera également déçu. Son geste, d'intention minimaliste, va racler jusqu'aux téguments d'une violence incorporée. Le plus souvent, le danseur s'en tient à strictement reproduire des postures, des attitudes, des gestes, de tel ou tel agitateur, agresseur ou soldat à l'écran, dans la texture exacerbée de leurs dynamiques de jets de projectiles, destructions de plantations, harcèlements de voisinage, prises de surplomb arrogant.
À la longue, prélèvement après prélèvement, c'est toute une syntaxe du vocabulaire gestuel de la violence qu'Arkadi Zaides écrit sur son propre corps. Quoique de forte résonance politique, reçue avec un maximum d'écho polémique dans son pays, cette démarche est solitaire au plateau, âpre et peu spectaculaire d'une certaine manière. Cela d'autant que le dispositif choisi fait éprouver l'amère expérience de la puissance attractive de l'image projetée pour le regard spectateur, dont la performance dansée a souvent du mal à concurrencer l'impact.
Pourtant on se persuade qu'Arkadi Zaides s'approche là d'un fondamental de ce que peut la danse, avec une forme d'ardeur tenace tendue à l'extrême. Le parti de seulement imiter le geste à l'écran produit peu en un sens, est un procédé pauvre, dédaignant les terrains de la transcendance, la symbolisation, la métaphorisation. Il ne fait rien pour transporter son spectateur. Or son implacable sécheresse, sa répétition, son obstination viennent à culminer dans un fort final où s'incorpore aussi un puissant travail vocal, de souffles, de râles, forme d'obnubilation respiratoire où le corps entier se noue en spasmes de pulsions agressives.
Après deux pièces de groupe remarquables (Quiet, mais surtout Land Research), Zaides a pris énormément de responsabilité en frayant seul le chemin escarpé d'un défi lancé à la grammaire des représentations collectives – à quoi se ramènent aussi les situations guerrières. On pressent que tout cela le place au bord de projets d'importance peut-être capitale. Mais dans le Paris de 2015, ce chorégraphe sort du théâtre accompagné de gardes du corps, non pas juif menacé par des djihadistes, mais israélien menacé par des juifs. Où en est-on ?
Gérard Mayen
Spectacle vu le 22 janvier 2015 au Théâtre national de Chaillot. Jusqu'au 30 janvier 2015
Les bords de plateau vous permettent de rencontrer les artistes à l’issue de la représentation. Après Archive d'Arkadi Zaides, assistez à une intervention-débat avec le chorégraphe israélien en partenariat avec Amnesty International France.
27 et 29 janvier 2015 à l'issue de la représentation - Salle Maurice Béjart Durée 1h
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