« Aerobics! » de Paula Rosolen au Théâtre des Abbesses
Les années 1980 étaient l'époque d'une américanisation tous azimuths. Certes, on avait déjà le Coca Cola, le chewing gum, les cigarettes, Elvis et Sinatra. Arrivent alors le hip hop, les ordinateurs Apple, Michael Jackson et... Jane Fonda! Jane Fonda's Workout, ses Aerobics, sont un succès planétaire et se diffusent par vidéo VHS, autre révolution de l'époque.
Que disent les dictionnaires ? « L'aérobic est une gymnastique qui modèle le corps et oxygène les tissus par des mouvements rapides effectués en musique. » Que font les sept pratiquants de Paula Rosolen ? Ils exposent toute la puisssance de la suroxygénation de leurs tissus musculaires, sans une seule note de musique ! Bien fait par ailleurs, puisque ce faisant ils nous renvoient vers une vérité lexicale pas toujours à portée de main.
Galerie photo Laurent Philippe
Qu'est-ce qu'un unisson ? Avant de concerner la création chorégraphique, il s'agit bien sûr d'un phénomène musical. Si Aerobics! nous le rappelle à grands coups de semelles de cautchouc, c'est que le corps de ballet en question se coordonne et se soude par l'impact acoustique des pas de basket. Pas de bande son, du début à la fin de ce Ballet en 3 actes. En trois rounds, en trois sets, comme vous voulez. C'est sportif avant tout. Et si musique il y a, c'est celle des quatorze chaussures, à l’unisson du début à la fin. Le rappel lexical frappe d'autant plus fort que les mouvements peuvent différer (sur les parties du corps impliquées, pas sur le rythme), alors que le zapateado glissant et grinçant de salles de gym exécute un unisono imperturbable.
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Aerobics! Un ballet en 3 actes semble surfer sur la tendance majeure actuelle de la danse contemporaine qui consiste à revisiter danses palestiniennes, alpines, basques, méditerranéennes, de clubs newyorkais, de ballrooms et tout et tout, enfin tout ce qui représente un lien social, une communauté, une réponse à la question: Pourquoi dansons-nous ?
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Dans la mécanique implacable de cette démonstration au troisième degré se croisent des soupçons de danse baroque (spectacle extrêmement symétrique), de ballet et de déconstruction de danses traditionnelles. En particulier, l'exercice rappelle la transgression fondatrice d'Alessandro Sciarroni, quand il décortique le vocabulaire du Schuhplattler alpin dans FOLK-S_will you still love me tomorrow?
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Mais Aerobics! révèle aussi tout ce qui différencie les différents univers et leurs époques. Quand Sciarroni s'attaque à une danse folklorique, il joue sur l'idée de communauté. Les interprètes évoquent les regards, le cercle, la mémoire collective, le mythe. Sa froideur chirurgicale se réfère toujours à l'harmonie chaleureuse du modèle folklorique. L'aérobic, c'est tout le contraire. Elle représente le passage à un culte du corps couleur pop, sexy et accessible à tous, mais aussi l'individualisation et le narcissisme post-moderne.
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L'activiste politique qu'était Jane Fonda, et qu'elle est toujours (par ailleurs en pleine forme en approchant les 80 ans - l'aérobic ça sert donc à quelque chose), n'avait peut-être pas prévu cet effet sociétalement questionnable qui veut qu'en introduisant une version flashy de la gym traditionnelle, en vendant son concept sur bande VHS, elle a finalement lancé une belle promo de l'American way of life.
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Ce que le spectacle de Rosolen, version accomplie du premier jet lancé au concours Danse élargie 2014 (et vainqueur), révèle en creux, c'est la puissance normatrice d'une culture qui prétend apporter un épanouissment individuel. Avec leurs mouvements de pantins, les sept aérobiciens ont beau porter des couleurs individuelles, il suffit de les imaginer en uniformes de l'armée de Kim Jong-Un, et on prend pleinement la mesure de la force uniformatrice qui pointe derrière les couleurs si joyeuses.
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Il faut dire aussi que ce spectacle vient d'Allemagne (même si Rosolen est d'origine argentine) où chaque création en théâtre ou danse inclut un débat, si ce n'est une lutte, avec les principes d'ordre et de discipline, soit en les mettant en scène (comme ici) pour mieux les détourner, soit en les faisant exploser avec plus ou moins de finesse.
Aérobics! rappelle au passage que la danse fut jadis une discipline militaire et que l'Aérobic est venu alléger une pratique d'entraînement longtemps instrumentalisée politiquement. Aerobics! nous en parle aussi quand ceux qui tombent par épuisement (certes joué et pas réel) ne peuvent que se relever et continuer, car soumis à une pression implacable, même si elle est purement psychique.
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Vous pensiez que l'Aérobic c'est ringard ? Certes, mais vous ne saviez pas qu'on peut en faire un flux scénique qui évoque toutes les époques! Nous ne l'attendions pas, mais la découverte n'en est que plus intrigante. Mieux que ça : Après le spectacle, Paula Rosolen et ses co-aérobiqueurs vous proposent une brève séance d'initiation ! Sans Jane Fonda toutefois, mais on n'est pas au cinéma.
Thomas Hahn
Aerobics! Un ballet en 3 actes
concept & chorégraphie : Paula Rosolen
créé et dansé par : Jungyun Bae, Teresa Forstreuter/Sanna Lundström, Gabriela Gobbi, Christopher Matthews, Marko Milic, Sabine Prokop, Paula Rosolen
du 2 au 5 septembre au Théâtre des Abbesses
http://www.theatredelaville-paris.com/spectacle-paularosolenaerobicsunballeten3actes-969
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