Entretien : Emanuel Gat
Emanuel Gat présente une nouvelle création pour les danseurs du Ballet de l’Opéra de Lyon. Un programme partagé avec la création de François Chaignaud et Cécilia Bengoléa (http://dansercanalhistorique.com/2014/09/04/cecilia-bengolea-et-francois-chaignaud/) et Heart’s Labyrinth de Jiří Kylián qui sera présenté en première mondiale dans le cadre de la 16e Biennale de la danse de Lyon. À découvrir du 10 au 13 septembre à l'Opéra de Lyon.
Danser Canal Historique : Nous ne savons encore rien de votre nouvelle création, à commencer par son titre…
Emanuel Gat : Elle s’appellera Sunshine.
DCH : Quel va être l’axe de cette création ?
Emanuel Gat : Elle s’inscrit dans la continuation de mon processus de création, dans la même recherche. C’est-à-dire une étude de la structure chorégraphique, avec une trame complexe issue des phrases chorégraphiques que propose chacun des danseurs et des règles que je dicte, qui sont ensuite utilisées selon des principes de composition. Ce qui diffère des créations précédentes c’est le contexte. Le groupe est différent et la réponse qu’ils m’envoient m’oblige à me remettre en question, à ajuster mon écriture à leurs propositions.
DCH : Comment avez-vous perçu ces dix danseurs du Ballet de l’Opéra de Lyon ?
Emanuel Gat : C’est un groupe vraiment génial pour travailler. Ils sont particulièrement curieux, intelligents, engagés. Ils m’ont permis de les pousser et de prendre encore plus de risques que dans mes pièces précédentes.
DCH : Comment les avez-vous choisis ?
Emanuel Gat : Ce n’est pas difficile. Je propose un atelier où je travaille exactement de la même façon qu’en répétition. Au bout de quelques secondes, je peux voir qui est capable de suivre, de s’investir, qui n’en a pas envie. Je triche un peu en commençant par le pire de ce que je vais leur demander. Du coup, la psychologie de chaque personne transparaît et on voit le contrôle, la curiosité, ceux qui sont prêts à se remettre en question. C’est une sorte de polygraphe. Et dans ce type de processus un danseur qui ne serait pas partie prenante du travail pourrait casser complètement la cohésion du groupe.
DCH : Vous utilisez depuis quelques années les mêmes structures de composition. Qu’est-ce qui change d’une création à l’autre ?
Emanuel Gat : C’est la même chose qu’entre deux individus. Ils ont chacun le même organisme, deux yeux, une bouche, etc., la même anatomie qui est celle de tout être humain et le même fonctionnement. Mais plus on passe de temps avec chacun d’entre eux et plus les différences sont marquées, radicales, sans nuances. C’est un sentiment de familière étrangeté qui domine alors, nouveau, surprenant.
DCH : Est-ce que vous procédez de la même façon que pour les danseurs de votre compagnie c’est-à-dire que vous les laissez libres d’inventer leur matériel chorégraphique ?
Emanuel Gat : Oui, c’est exactement le même procédé. Mais ils ne sont pas vraiment libres puisqu’ils doivent gérer la couche de contraintes et de règles que je leur impose et qui sont ensuite trafiquées. Ce sont des entraves importantes mais ils sont libres de trouver des solutions, de prendre des décisions par rapport à elles. La seule chose que je ne me permettrai pas avec eux, car le temps de création est extrêmement réduit – deux heures par jour, ce qui revient au total à l’équivalent d’une semaine de travail – c’est d’aller dans des directions totalement inconnues. Sauf s’ils se lancent eux-mêmes dans une direction inattendue. Mais je ne vais pas les susciter.
DCH : La commande du Ballet de l’Opéra de Lyon vous imposait de travailler avec l’orchestre, du coup, quelle musique avez-vous choisie ?
Emanuel Gat : C’était pour moi un défi intéressant. Je savais qu’il n’y aurait qu’une seule répétition avec orchestre et je voulais trouver un équilibre entre une partie en direct et une partie enregistrée. Donc, l’orchestre joue deux mouvements – l’ouverture et la fin – de la suite Water Music de G.F. Haendel. Puis j’ai enregistré la répétition de l’orchestre qui jouait cette partition avec 17 micros et j’ai fait le montage de cette bande-son enregistrée avec le même orchestre, dans le même espace que celui où nous allons jouer. Il faut dire qu’au début, la commande n’était pas seulement d’utiliser l’orchestre, mais aussi de choisir une musique dans le répertoire baroque. D’où Haendel. Mais le point de départ n’est pas très important. On peut faire la même recherche sur n’importe quelle partition, c’est le processus de déconstruction et de reconstruction qui compte à mes yeux.
DCH : Mais pourquoi Water Music ?
Emanuel Gat : Je ne sais pas. Je devais être dans une phase joyeuse ! Ce qui est amusant c’est que l’on entend, dans la bande-son, le chef expliquer aux musiciens dans quel contexte Haendel a créé cette suite.
Et pour les costumes ?
Emanuel Gat : Comme pour ma compagnie, je les ai emmenés faire du shopping et choisir les habits qu'ils souhaitaient porter pour le spectacle. Ce qui a été spécial, c’est la réaction des danseurs. Pour eux, c’était la première fois qu’on leur laissait le choix. Selon eux, ça a changé complètement leur sensation de s’habiller avant de monter sur scène. Ils étaient très heureux.
DCH : Pourquoi vous attachez-vous à reprendre le même processus d’écriture à chaque nouvelle création ?
Emanuel Gat : Ce n’est pas du tout un choix de ma part. Je poursuis une sorte de courant. Si je me retourne sur mes pièces précédentes, c’est l’évolution de l’une à l’autre qui me frappe. C’est un processus en mutation constante, ce qui se passe en studio est très différent à chaque nouvelle pièce. Ça ne m’intéresse pas du tout de perturber ce processus quasi organique, qui a sa logique, et il me semble naturel d’aller dans son sens. Il a sa propre dynamique, la progression qui lui est propre. Je trouve ça plus intéressant que de chercher à faire du nouveau à tout prix. On n’aurait pas plus imaginé Cunningham créer une chorégraphie théâtrale avec des robes longues, que Pina Bausch vouloir se mettre à la chorégraphie minimaliste !
Propos recueillis par Agnès Izrine
http://www.biennaledeladanse.com/spectacles/ballet-de-l-opera-de-lyon.html
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