Chris Haring: “Deep Dish”
Chris Haring: “The Perfect Garden - Deep Dish”
L’image peut-elle devenir la raison d’être d’une pièce de danse ? Oui, à condition d’être parfaite comme un jardin... Deep dish est une libation chorégraphiquement détournée, un « film chorégraphique réalisé en direct » pour quatre performers et une caméra à haute résolution.
Bien plus qu’une cinquième colonne, la scénographie occupe le centre du plateau, une table. Dressée pour un repas de fruits et de légumes, elle devient la scène d’une cène à dévorer avec les yeux, où l’acte de manger se transforme en rituel partagé, comme pour livrer une métaphore de la condition humaine. L’homme, sublime et effroyable en même temps, ne se réalise qu’en ingurgitant ou exhalant des matières et substances.
Si tout spectacle prend sa forme définitive dans la tête du spectateur, Deep Dish se déroule essentiellement dans l’abîme qui s’ouvre entre ce que nous voyons se dérouler sur scène et l’image produite sur place, en tant que partie des événements, eux-mêmes transformés en film d’aventure.
C’est presque microscopique, presque comme si on regardait sous la peau des choses. Rien n’apparaît comme nous avons l’habitude de (ne pas) le voir dans la vie. Feuilles de menthe ou de salade, fraises ou poireaux... Frais ou en décomposition, tout se transforme en paysage ou en coulée.
La découverte d’objets aussi familiers qu’un ananas dans une transfiguration aussi radicale et inattendue déclenche un trouble profond qui peut, chez certains spectateurs, déclencher des réactions émotionnelles à peine contrôlables. L’esthétique peut encore faire frémir !
La caméra bouleverse les perspectives, l’écran géant en fond de scène est ici le véritable plateau de danse. L’orange n’est pas bleue, elle est une planète. La fraise apparaît, telle une montagne, plus grande que l’homme.
Michel Blazy, artiste végétal de renommée mondiale et Chris Haring, chorégraphe installé à Vienne, signent une des créations les plus fascinantes de la saison, et il s’agit bien d’une pièce de danse ! Dans leurs chorégraphies, les quatre interprètes affrontent les labyrinthes de leur Eden ou enfer avec des corps fluides et légers comme des ballerines, tandis que le danseur Luke Baio fait danser la caméra et les images.
On plonge dans ces visions comme dans un film d’animation, d’abord embarqué pour un voyage fantastique, ensuite comme dans un film d’horreur. L’objectif ne se trompe pas, beauté et monstruosité sont chacune la condition de l’autre. Car Deep Dish connaît sa propre descente aux enfers. Ça se passe sous la table, mais toujours devant la caméra.
Tomate ou pastèque massacrée, un filet de salive qui se répand lentement dans un verre d’eau, cette autre façon de déplacer les regards déclenche sa propre tempête de sensations. Ne plus se voiler la face, et pourtant reconnaître la grandeur des choses et leur beauté, manger et boire en connaissance de cause totale et jusqu’au bout du creux de l’assiette, telle est la missive de Deep Dish. A chacun de décider si l’existence humaine est une assiette creuse à moitié pleine ou à moitié vide.
Thomas Hahn
DANCE, CHOREOGRAPHY: Luke Baio, Stephanie Cumming, Katharina Meves, Anna Maria Nowak
ARTISTIC DIRECTION & CHOREOGRAPHY: Chris Haring
COMPOSITION & SOUND DESIGN: Andreas Berger
DRAMATURGY, SCENOGRAPHY & LIGHT DESIGN: Thomas Jelinek
ORGANIC SCULPTURES & CONSULTING: Michel Blazy
Vu à Noisy-le-Grand, Espace Michel Simon, le 23 mai 2014, festival Les Chemins de Traverse
Tournée :
Le 6 août à Vienne, Impulstanz
Le 24 août, Opera Estate, Bassano di Grappa, Italie
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