« Skatepark » de Mette Ingvartsen
La glisse de Chaillot à La Villette. Patins, masques et rock : La jeunesse urbaine et ses rites amènent l’esprit skate sur les planches du théâtre. Un cas pour la Cour d’Honneur ?
On le cherche, souvent désespérément. Un spectacle pour la Cour d’Honneur d’Avignon qui ne se laissera pas dénaturer par la démesure de ce lieu désemparant. Et là, on le tient ! Skatepark de Mette Ingvartsen est de cette trempe. Ce qui n’est pas une question de valeur artistique en soi, mais de compatibilité. Mieux encore, la Cour d’Honneur pourrait bel et bien être l’un des rares lieux où un tel tourbillon de trajectoires à roulettes pourrait dégager la plus-value d’un geste artistique, à la fois naïf et un brin provocateur. Une œuvre donc qui non seulement résisterait, mais trouverait tout son sens si la jeunesse urbaine s’emparait d’un tel plateau et de son histoire. Et pour une fois cette cour des mirages ne serait alors pas un adversaire mais un soutien.
Mode de vie
Le skate park de départ et source d’inspiration pour Mette Ingvartsen se trouve à Bruxelles, dans le quartier où elle réside et d’où viennent les jeunes chevaliers de la planche, rejoints dans chaque ville d’accueil par une poignée de jeunes accros de la glisse en préambule à l’entrée des gladiateurs. On roule et s’envole sur les rampes, glisse roues devant sur une barre métallique – installée au centre de la scène comme récupérée dans un studio de danse – et évite les collisions fratricides grâce à une réactivité acquise dans la libre circulation entre les rampes dans l’espace urbain réel. Et quand le public sort de la Grande Halle de La Villette – il s’agit d’un spectacle de Chaillot « nomade » – les skateboards sont partout dans les allées et sur les parvis, jusque dans le métro. La communauté répond présente, et l’âge moyen des spectateurs baisse sensiblement.
L’équipe en tournée réunie par Ingvartsen est composée de douze skateurs et danseurs âgés de 11 à 35 ans, dont deux icônes féminines qui se muent en chanteuses rock et punk avec des réminiscences de Rita Mitsouko, talent découvert au cours des répétitions. Mais le but de Skatepark ne se limite pas à représenter les pratiques de glisse urbaine. Ingvartsen permet ici à une génération de parler de son mode de vie, avec moult détail et accessoire. Aussi, à titre d’exemple, les skateuses-chanteuses ne cessent de se filmer l’une l’autre avec leurs téléphones portables et on se demande bien si les images passent en direct sur Instagram ou ailleurs…
Galerie photo © Bea Borgers
Contestations
C’est dans une seconde partie, nocturne et un brin fantomatique, qu’Ingvartsen met véritablement son grain chorégraphique, avec l’aide dramaturgique de Bojana Cvejić (que l’on connaît dans cette fonction aussi auprès de Xavier Le Roy, Eszter Salamon et tant d’autres). Après une césure, les interprètes finalement délestés de leurs supports de glisse, c’est le spectacle qui glisse, convoquant des airs de rave party aux accents de guérilla urbaine, entre Anonymos et mouvance punk. Dans cette manifestation sauvage et joyeuse avec ses clins d’œil au clown maléfique Grippe-Sou du film Ça d’après le roman éponyme de Stephen King, on agite aussi un énorme drapeau blanc, non pour annoncer une quelconque reddition, mais plutôt dans le sens d’une ouverture à toutes les revendications, comme dans le bon vieux Blank Placard d’Anna Halprin.
Ingvartsen rappelle par là que les cultures urbaines sont toujours parties d’une révolte de la jeunesse, d’une remise en cause d’injustices sociales et du désir d’échapper à une stigmatisation ou bien, comme dans le cas des skateurs à Los Angeles, par l’occupation d’espaces privés et publics dans une remise en cause des règles sociétales bourgeoises. Et elle continue en quelque sorte à interroger les corps et les gestes dans leurs pratiques sociales, ce qu’elle avait fait autour de l’érotisme et du plaisir avec une série de spectacles entre 2014 et 2017 et plus tard avec des créations interrogeant liens sociaux et communautés.
Les élans de la jeunesse patineuse tels qu’exposés dans Skatepark ont bien sûr fait l’objet de créations antérieures, souvent plus subtiles et sophistiquées. On pense à Pixel de Mourad Merzouki, mais aussi, en son époque, Macadam Macadam de Blanca Li, grand classique du genre ou encore aux créations sur glace du Patin Libre québécois. Mais justement, en donnant plus d’espace à la glisse, jusque sous le mistral ou les orages avignonnais, à ciel ouvert comme dans un authentique skate park, il serait possible d’augmenter sensiblement la teneur chorégraphique de cette proposition a priori très à propos de Mette Ingvartsen.
Thomas Hahn
Vu le 9 mai 2023, Chaillot nomade, Grande Halle de La Villette
A revoir au Festival de Marseille, les 8 et 9 juillet 2023
Concept & chorégraphie: Mette Ingvartsen
Avec: Damien Delsaux, Manuel Faust, Aline Boas, Mary-Isabelle Laroche, Sam Gelis, Fouad Nafili, Júlia Rúbies Subirós, Thomas Bîrzan, Briek Neuckermans, Indreas Kifleyesus, Arthur Vannes, Camille Gecchele et des skateurs locaux
Assistant chorégraphique: Michaël Pomero
Son: Anne van de Star and Peter Lenaerts
Lumières: Minna Tiikkainen
Dramaturgie: Bojana Cvejić
Costumes: Jennifer Defays
Scénographie: Pierre Jambé/Antidote
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