Akram Khan : « Outwitting the Devil »
Avignon 2019 : L’héroïsme, évidemment
Très attendu, Outwitting the Devil, la création d’Akram Khan pour la Cour d’honneur a été un grand moment d’héroïsme. Pour des raisons indépendantes de la volonté des concepteurs, mais c’est comme ça !
Outwitting the Devil, réduit le vaste espace scénique à un carré noir d’une dizaine de mètres de côté, autour duquel nombre de parallépipèdes de tailles diverses, ordonnés et uniformément anthracite, forment un hors monde autant qu’un hors-scène. Vu de haut, cela tient de l’installation, moitié Buren, moitié Malevitch, graphique et assez inquiétante particulièrement quand cela se nimbe de fumée… De même, au lieu de profiter de l’espace immense pour composer pour un vaste effectif, Akram Khan a concentré son propos sur six danseurs, mais tous d’une virtuosité exceptionnelle quoique chacun d’entre eux ressortissant d’un domaine différent : danse indienne, hip hop, danse contemporaine… Evidemment, une telle obstination à prendre les principes attendus à rebrousse-poil doit attirer l’attention…
Galerie photo Laurent Philippe
Si l’on en croit les explications, le propos de Outwitting the Devil, se réfère l’épopée de Gilgamesh et en particulier à un fragment retrouvé en Irak en 2011 et intitulé « Retour à la forêt des cèdres ».
Evidemment, on se prend à chercher dans le déroulement de la pièce une illustration des aventures du héros et, dans le fragment dont il est question, de la dévastation de la forêt de cèdres « habitée par une faune exotique et bruyante » (d’où un passage de la pièce où sont énoncés les noms d’animaux) et du meurtre de leur roi-gardien, à la manière d’une épopée dont la danse serait la traduction.
Galerie photo Laurent Philippe
Mais le dispositif se joue de cette fresque narrative et toute la pièce d’Akram Khan procède du dialogue entre ce que l’on attend comme un genre de « manifeste écologique » – pour reprendre un certain nombre de commentaires – et la construction réelle de la pièce qui fonctionne comme un constat de l’homme âgé, ici l’ahurissant Dominique Petit, assistant à des étapes de son passé (lire notre entretien). Outwitting the Devil tient du vaste flash-back chorégraphique.
Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le chorégraphe organisa une audition spécifiquement réservée à des danseurs de plus de 55 ans. L’un des titres de l’épopée de Gilgamesh – du moins de l’une des versions – est « Celui qui a tout vu ». En se confrontant, parfois physiquement, aux cinq autres interprètes, Dominique Petit revoit tout et ne peut guère y changer quoi que ce soit.
Galerie photo Laurent Philippe
Mais pour être juste, la pièce a été occultée par l’épopée de sa création. Le mercredi, la création s’est, au dire des témoins, déroulée au mieux. Mais le lendemain, au bout de soixante minutes d’une œuvre qui en dure quatre-vingts, tout s’arrête. L’un des danseurs, Andrew Pan, s’est rompu le tendon d’Achille en scène. Dans la nuit, Mavin Khoo part de Londres, déboule à Avignon, répète toute la journée et le soir, à 22h, sans avoir pris le temps de dormir, le voilà qui assure la représentation dans la Cour d’honneur.
Galerie photo Laurent Philippe
Evidemment, une telle performance – héros se dépassant pour interpréter un héros – frappe une telle puissance qu’elle fait largement obstacle à l’appréciation juste de l’œuvre. La tension émotionnelle, l’admiration devant la performance, toutes ces choses qui font de certaines soirées des moments d’exception, jusqu’à cette image des six interprètes se serrant, petite masse compacte sous le mur écrasant du Palais des Papes, pour dédier la représentation au blessé, présent dans la salle, tout concourut à rendre ce moment exceptionnel. Et force est de reconnaître que cette soirée-là fut bouleversante ; puisque Outwitting the Devil signifie « traiter (négocier) avec le diable », il faut reconnaître qu’ici les danseurs surent le faire avec une énergie folle.
Mais évidemment, il faudra revoir la pièce pour la voir vraiment.
Philippe Verrièle
19 juillet 2019, Cour d’honneur / Avignon IN.
Distribution
Avec Ching-Ying Chien, Andrew Pan, Dominique Petit, Mythili Prakash, Sam Pratt, James Vu Anh Pham. Et la voix de Dominique Petit.
Direction artistique et chorégraphie Akram Khan
Dramaturgie Ruth Little
Musique et son Vincenzo Lamagna
Lumière Aideen Malone
Scénographie Tom Scutt
Costumes Kimie Nakano
Texte Jordan Tannahill
Vidéo Maxime Dos
Collaboration artistique Mavin Khoo
En tournée :
Internationaal Theater Amsterdam, Netherlands 28 - 29 August 2019
Theater Rotterdam, Netherlands 6 - 7 September 2019
Théâtre de la Ville Paris, France 11 - 20 September 2019
Düsseldorf Festival, Burgplatz Germany 24 - 25 September 2019
Festival DanceInversion, Stanislavsky Music Theatre Moscow, Russia 8 - 9 October 2019
Grand Théâtre Aix-en-Provence, France 29 - 30 November 2019
Théâtre de Namur, Belgium 4 - 7 December 2019
Central Le Théâtre La Louvière, Belgium 10 - 11 December 2019
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