Anne Teresa De Keersmaeker : « Les Six Concertos Brandebourgeois »
Rencontre au sommet entre la chorégraphe belge et le génie de Bach. À ne pas rater les 5 et 6 juillet au festival Montpellier Danse !
C’est la cinquième fois que la chorégraphe Anne Teresa De Keersmaeker affronte Jean-Sebastien Bach. La première fois, c’était en 1993, un an avant ces Six concertos Brandebourgeois c’était les Six suites pour violoncelle seul. Une sorte d’ascèse, donc, un exercice de haute volée, ou de haute école, certaines architectures du Concerto N°1 étant bâties comme une reprise de dressage d’équitation. Mais avant d’en arriver là, disons pour commencer que cet opus monumental réunit au plateau seize danseurs, dont seulement quatre femmes, et l’ensemble B’Rock dirigé par Amandine Beyer au violon baroque.
La danse est surtout et d’abord constituée par la marche « en descendant » et « en remontant » la scène impressionnante du Palais Garnier mise à nu, avec ses murs chargés d’histoire, poussiéreux, apparents. Une sorte de vide absolu et d’essence du théâtre. La chorégraphie suit la musique à la lettre, et même à la note près ! On pourrait presque deviner à regarder les danseurs marcher dans leurs tenues chic et noires, l’allure de la partition. Flux de la marche, traitement du collectif et de l’individuel comme le fameux « ripieno » (l’ensemble des instruments) et les solistes.
Galerie photo © Laurent Philippe
L’unité c’est d’abord la ligne, qui va et vient comme le ressac de l’écume, et finit par produire une sorte de toile de fond dont vont se détacher d’abord des accentuations, puis des mouvements individuels, des solos stupéfiants, des sauts que l’on a certes déjà vus dans d’autres pièces, comme Rain, Achterland, ou Zeitung… mais qui enserrés dans le groupe prennent tout leur relief.
Il y a des clins d’œils à l’époque de la partition, comme ce menuet très élégant et compassé, ou à la danse baroque avec des fleurets (l’ancêtre du pas de bourré) enlevés, à la matière sonore comme cette chienne (noire et blanche !) que l’on promène au son du cor, et même des jeux de mots quand les danseuses semblent marcher sur des œufs. Plus les Concertos se déroulent, plus la chorégraphie prend le pas sur la marche ou la course, avec des déhanchés, des tours spiralés, des sauts sur les syncopes musicales, des déséquilibres hasardeux… et pas mal d’emprunts au vocabulaire classique qui viennent se mêler aux tours en l’air horizontalisants des garçons, sorte de signature de la chorégraphe. On aura particuièrement saisi au vol le solo de Cynthia Loemij qui se plie comme une statue de Brancusi, ou la danse très organique et ardente de Jason Respillieux incarnant le mouvement.
Galerie photos © Anne Van Aerschot
D’aillleurs il faut saluer l’ensemble des formidables danseurs de trois générations de la compagnie Rosas qui sont pour beaucoup dans le charme de cette pièce de deux heures qui passent à toute vitesse. Il faut dire que la chorégraphie d’Anne Teresa De Keersmaeker s’accorde à merveille avec l’art du Cantor de Leipzig : son goût de la géométrie, du contrepoint, son abstraction, son amour de la forme et de l’ordre est au diapason de la partition. Seul bémol à cet ensemble quasi parfait, l’apparente difficulté de la chorégraphe à maîtriser la lenteur qu’elle préfère traiter par l’immobilité et la reprise de la gestuelle plutôt que s’atteler à l’ampleur du mouvement continu. Reste que la rencontre entre chorégraphie et écriture musicale est une sorte d’ode à la vie joyeuse, entraînante, dansante, effervescente comme le sont ces six Concertos Brandebourgeois.
Agnès Izrine
Opéra Garnier, le 8 mars 2019.
5 et 6 juillet 2019 à 20h - Opéra Berlioz- Le Corum, dans le cadre du Festival Montpellier Danse
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