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Rocio Berenguer et Marja Christians : « Ergonomics »

Rocio Berenguer, auteure et chorégraphe, et Marja Christians, metteuse en scène, ont présenté à la Gaîté lyrique, début février 2018, la pièce Ergonomics dans le cadre du festival Sors de ce corps !

Sérieuses comme des papesses, les deux jeunes femmes, soutenues par leurs collaborateurs artistiques (le graphiste Grégoire Bellot, le musicien Léopold Frey, les vidéastes Hector Di Napoli et Nayan Ducruet, le chercheur Ignacio Avellino, la chercheuse en danse Sarah Fdili Alaoui, le danseur dandy et virtuose Patric Sean Gee-Hou Kuo), nous ont interprété un spectacle d’un nouveau genre, un mixte de conférence de marketing, de communication d’entreprise, de présentation audiovisuelle vantant un service, de « performance » ironique et de danse-théâtre d’agitprop.

 

Le rituel d’une réunion-type est analysé et suivi dans ses moindres détails, avec une insistance maniaque, un ton mielleux, une démarche de geisha, une autorité de Domina et, en même temps, un léger sourire en coin qui finissent par devenir inquiétants. Les spectateurs sont accueillis comme des clients potentiels, susceptibles d’être séduits par ce que nous vante la bonimenteuse animant la séance (Marja Christians).

Celle-ci est vêtue et coiffée comme une hôtesse de l’air et/ou une femme d’affaires. Son discours est déroulé entièrement en playback (avec la voix déformée de quelqu’un d’autre), ce qui suppose un travail considérable de mémorisation. Tous les « concepts » (au sens publicitaire du terme) sont, naturellement en anglais, à commencer par celui d’ergonomie.

Galerie photo © D.R

L’infantilisation de l’auditoire est un des éléments à la source de ce comique contemporain. La reprise d’argumentaires consensuels en matière de sécurité, d’avenir de la planète, de santé, de confort, de bien-être, d’optimisation du travail, de courbes d’expansion de l’entreprise, etc. constitue la trame thématique de cette fiction pseudo-scientifique, traitée sur un mode hyperréaliste.

L’absurdité de cette messe célébrant le progrès technique de la vie moderne, à l’ère digitale, celle des start-ups, du libéralisme dans lequel nous baignons faute de mieux, n’échappe à personne, d’autant qu’elle est soulignée par des consignes protocolaires anodines en apparence mais, à la longue, efficaces, redoutables, déstabilisantes comme celles de s’assoir dans une position bien précise, de se lever aux moments indiqués, de prendre des selfies, voire d’exécuter des pas de danse au son de la techno...

Avec des moyens parfaitement maîtrisés – élégance des costumes, soin du maquillage, impassibilité des gestes, des expressions du visage et des voix, sérénité feinte, site et logiciels dédiés à l’expérience spécifique, vidéos « institutionnelles » pastichant la communication d’entreprises innovantes, effets stroboscopiques rythmant le final festif, cocktail d’adieu teinté de faux curaçao –, des mouvements stylisés, autrement dit tous chorégraphiés et quelques blocs de danse pure, la pièce nous a paru réjouissante à suivre, pour ne pas dire « à vivre ». Et tout aussi absurde que le monde où nous évoluons déjà.

Nicolas Villodre

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