« Are friends electric ? » de Yuval Pick
Avec sa nouvelle pièce créée à la Comédie de Saint Etienne, Yuval Pick renoue avec ses thèmes récurrents sur la mémoire collective tout en proposant un style de danse très différent de ses précédentes réalisations
En puisant dans la musique et l’univers de Kraftwerk (groupe allemand fondé en 1970), Are friends electric ? combine différentes couches musicales construisant ainsi une temporalité fluctuante et dynamique. « De Kraftwerk, je retiens la période qui s’étend de 1974 à 1978. Ces albums sont caractérisés par un son analogique et des rythmes qui m’évoquent les battements d’un cœur, un mouvement de respiration, une marche, un geste musical à l’échelle humaine. Il y a la référence à Franz Schubert dans Trans-Europa Express qui m’invite à aller puiser dans les lieder de Schubert et évoquent l’image d’un registre romantique ancien », relate Yuval Pick.
Au milieu du plateau une barre transversale de plus de six mètres de néons impose dès le début une notion de graphisme et de pureté qui sera maintenue tout au long de la pièce. Sur les six danseurs, (deux femmes et quatre hommes) cinq sont vêtus de costumes aux motifs très graphiques. Le dernier, en pantalon et chemise unis, joue le rôle de chef d’orchestre, de maître à danser et à penser.
D’une époque à l’autre, les corps semblent rouler sur eux-mêmes avec d’amples mouvements de bras dont les paumes des mains, toujours dirigées vers le haut, évoquent ainsi la notion d’offrande et de quête. D’indéfinissables « déhanchements » d’épaules offrent des images étonnantes de personnages fluides et incassables. Il s’agit de rituels où les uns demeurent parfois statiques alors que les autres semblent envahis au plus profond de leur être par un message subliminal. Il y a de la générosité dans ces torsions du buste qui sont exécutées à la limite de la perte d’équilibre, il y a aussi de la tendresse à travers les regards et parfois une certaine dureté envers celui qui s’isole. Cette écriture chorégraphique très originale se conjugue avec les sons dans un rythme parfois très lent et parfois plus soutenu sans jamais lâcher le thème initial imposé par Kraftwerk.
Qu’ils soient à la limite de la transe ou en fusion, solo, trios et duos, les nouveaux interprètes de Yuval Pick, (excepté Madoka Kobayashi qui a rejoint la compagnie en 2011), possèdent tous une excellente technique et savent parfaitement bien définir l’intériorité de leurs personnages. Qui sont-ils dans cet univers urbanisé et mécanisé des années 70, ont-ils encore une place prépondérante au sein de la société, peuvent-ils encore prendre des décisions et ressentir des émotions, de la joie, de l’amour ? Ce sont toutes ces questions que pose la corrélation entre musique et danse.
Avec Are friends electric ? le directeur du Centre Chorégraphique de Rilleux-la-Pape se dirige avec talent vers une autre forme de danse et signe une œuvre puissante et insolite sur l’élasticité de l’espace et du corps et surtout sur le vivre ensemble.
Sophie Lesort
9 décembre 2015 - La Comédie de Saint-Etienne
« Are friends electric ? » chorégraphie de Yuval Pick, avec Julie Charbonnier, Madoka Kobayashi, Fernando Carrión Caballero, Jérémy Martinez, Adrien Martins, Alexander Standard
Musique : Kraftwerk, Franz Schubert, Olivier Renouf. Lumières Nicolas Boudier. Costumes Frederick Denis. Scénographie Bénédicte Jolys. Réalisation sonore Olivier Renouf
En tournée : le 13 janvier 2016 au théâtre d’Aurillac et les 20 et 21 septembre à la Biennale de danse de Lyon
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