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« The world was on fire » de Nina Vallon

Un DJ set en velours noir, où cinq femmes se libèrent en traversant les siècles, de manifeste pop en sorcellerie féministe. 

« Le monde était en feu, et toi seul pouvais me sauver »: La phrase-clé de la chanson Wicked Game de Chris Isaacs ne décrit pas un scénario apocalyptique, mais un état d’urgence sentimental. Le « jeu odieux » est celui de l’amour, et la chanson, chef-d’œuvre du romantisme contemporain, laisse entrevoir les délices de l’abandon alors qu’elle en dénonce les règles. Interprétée par son auteur, elle reflète la fameuse réticence des mâles modernes à s’engager dans une relation durable, en chantant une séparation avant même le début d’une histoire partagée. Mais par la suite, et c’est de bonne guerre, les femmes se sont appropriées son credo du « I don’t want to fall in love », le retournant comme un gant pour affirmer leur indépendance: ne plus attendre d’être sauvée, mais se libérer par ses propres moyens. Ce qui résume en soi la démarche de Nina Vallon pour son quintet qui enjambe plus de trois siècles de la vie des femmes. 

Une sorcière aux platines

Ne pas plier ! Sauf « La Plieuse », évidemment, celle qui manipule, son temps venu, d’énormes bandes de velours noir. Dans cette pièce aux ambiances très narratives, chacune des protagonistes joue un rôle, de « La conteuse » à la « La Listeuse », en passant par « La Tueuse » et, bien sûr : « La Sorcière ». Une de plus ! Grâce à The world was on fire, la Starhawk-mania continue donc sur les plateaux de danse contemporaine. Starhawk ? On dénombre de plus en plus de femmes chorégraphes qui s’inspirent de l’icône américaine de l’écoféminisme, ici citée par « La Conteuse » (Adeline Fontaine) et singifiée par « La Sorcière » (Marine Colard). 

Cette figure-clé de l’écoféminisme est ici aux platines, infusant au spectacle ses ambiances sonores et chantant – superbement – le mantra du refus de tomber amoureux.se… (NB : En anglais, la racine du mot « wicked » dans le titre de la chanson d’Isaacs est la même que celle de « witch » - la sorcière). La DJ ensorcelante choisit alors le désir et la prise de pouvoir, en s’adressant à des hommes fantasmés par un « Tu me plais ! ». Le féminisme de la culture pop aime, en effet, jouer à inverser les stéréotypes genrés. 

Féminismes

Le féminisme classique de Simone de Beauvoir fut suivi de l’écoféminisme, et aujourd’hui de celui véhiculé par certaines vedettes féminines du rap ou de la soul et autres variétés. Et avant ? Il y avait par exemple Amélie Beaury-Saurel et son célèbre tableau Dans le bleu (1894). La peintre y représente une jeune femme sensuelle, savourant une cigarette après le café. Un instant de liberté, de pur plaisir. A l’époque ! La peinture aussi peut être un acte militant et féministe. Sur scène, c’est « La Conteuse » (Margaux Amoros) qui évoque Dans le bleu : description d’un tableau… Tableau dans le tableau puisque The world was on fire est en soi une œuvre aussi atmosphérique que picturale. 

Par les mots et les images, on évoquera ce quintet de Nina Vallon surtout à travers les longues bandes de tissu noir qui scellent l’ambiance de la première partie. Pour les protagonistes, Aude Désigaux a transformé les pendrillons en robes et celles-ci se prolongent, d’abord invisiblement, jusque dans le fond de la scène et les cintres. Des pieds jusqu’aux collerettes blanches, ces costumes en imposent. Ils pèsent et enferment, ne permettant d’abord que de raides et formelles promenades. Dans cet univers codifié comme à la cour, chaque échange de confidences, de gestes ou de chants est en soi une conquête, rendant possibles des danses parfois shamaniques, pour finalement se délester de tant d’étoffe, pour prendre sa vie en main, définitivement. 

L’étoffe d’un manifeste

Les robes noires arrachées, et avec elles les collerettes blanches avec leurs plis rigides, voilà que les libertés prennent le pouvoir. Mais des luttes intrinsèques apparaissent également, orchestrées autour du velours qui pourtant les lie. Et il paraît que ces parties de tir à la corde représenteraient, symboliquement, les relations parfois tendues entre différentes approches féministes. Par exemple, « La Plieuse » (Yasminee Lepe). Comme son nom de scène l’indique, elle plie. Des bandes de tissus. Ce qui laisse entrevoir toute l’ambivalence des positions, questions et réponses : Accepte-t-elle ici une servilité assignée ou s’empare-t-elle d’un domaine créatif où les plus grandes vedettes sont aujourd’hui encore des hommes ? 

Une fois les tissus rangés, les tenues et les corps libérés, The world was on fire se dévoile comme manifeste. A partir de quoi la pièce ne surprend plus, n’étonne plus. Perdus, les contrastes entre le noir et le blanc comme entre les divers états émotionnels et énergétiques, entre mystère et humour, tableaux musicaux, gestuels ou théâtraux. Il était bien plus intrigant d’assister au DJ set sorcier quand celui-ci était dansé dans la rigidité des robes élisabéthaines ou de savourer l’établissement burlesque d’une liste de toutes ces listes énumérant les tâches auxquelles nous devons nous plier au quotidien (« La Listeuse »: Adeline Fontaine).

Galerie photo © Mireille Huguet

Ce n’est pas la première fois qu’une pièce célébrant le pouvoir écoféministe du corps de la femme enfonce trop de portes ouvertes. L’acte de libération, face aux pouvoirs religieux, moraux, politiques ou économiques vaut toutes les attentions artistiques, et The world was on fire le prouve bien. La liberté, elle, est faite pour être vécue dans la vie, et être mise à profit sur scène pour évoquer… la libération ! Mais on peut comprendre l’envie de fêter une victoire...

Thomas Hahn

Spectacle vu le 27 janvier 2021, CDCN Atelier de Paris (représentation réservée aux professionnels) dans le cadre du festival Faits d'hiver

Conception et chorégraphie : Nina Vallon

Interprétation : Margaux Amoros, Marine Colard, Arielle Chauvel-Lévy, Yasminee Lepe, Adeline Fontaine

Création sonore : Marine Colard
Montage sonore : Mireille Huguet
Lumières : Françoise Michel
Costumes : Aude Désigaux
Scénographie : Margaux Hocquard
Assistante à la chorégraphie : Flora Rogeboz

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