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Sylvie Guillem : « Life in progress »

Le titre de la tournée d’adieux de Sylvie Guillem le dit : la vie n’est pas finie !

Même si l’immense danseuse qu’elle est arrête de danser, gageons qu’elle nous étonnera encore. Les quelques mots échangés à l’issue de la représentation nous laissent entendre qu’elle va – entre autres – consacrer sa vie à la défense des animaux et de l’environnement. Des sujets qui lui tiennent à cœur depuis longtemps, d’ailleurs, elle a installé un stand de Sea Shepperd à Fourvière, et elle soutient Kokopelli, association française qui distribue des semences issues de l’agro-écologie pour préserver la biodiversité.

En attendant, elle a décidé de mettre un point final à sa carrière pour ses 50 ans, ayant toujours affirmé qu’elle ne voulait pas faire « un spectacle de trop ». C’est donc une Sylvie Guillem en pleine forme qui nous a offert aux Nuits de Fourvière ce programme qui fait la part belle aux chorégraphes qu’elle a aimé : Akram Khan, Russell Maliphant, William Forsythe, Mats Ek.

«  Sylvie est si fluide, nous a dit William Forsythe,  que c’est une sorte de chef-d’œuvre de la coordination gestuelle. Là où les autres posent un pied après l’autre, elle vole ou elle glisse, c’est une sorte de génie. Elle révèle la grandeur de cet art. » Ce programme d’adieux témoigne donc une dernière fois que Forsythe a parfaitement raison.

Au-delà de ses levers de jambe célèbres, Sylvie Guillem est surtout une danseuse qui semble capable de tout. Aucun mouvement ne semble résister à son corps malléable, si intimement connecté et chaque geste fait sens, du fait même de cette perfection gestuelle. Si cette femme a changé le regard sur la danseuse, c’est surtout pour cela. Car ce qu’elle montre c’est l’essence de la danse. Sans fioritures, sans concessions. Tout Guillem est là. La danse et rien d’autre.

Ils étaient donc 4000 les quatre soirs, à Lyon, pour venir la voir. Pour certains, ça devait être la première et la dernière fois.

La soirée s’ouvrait sur Techné d’Akram Khan. Un mot qui a dû plaire à l’étoile car il signifie « fabrication matérielle » ou  « action efficace » chez les grecs de l’Antiquité.

La scène est vide. Hormis le squelette d’un arbre, un élément précieux pour la danseuse. Elle apparaît dans une lumière mordorée qui intensifie chacune de ses lignes, accentue chaque tendon, chaque articulation. Tout l’art de Sylvie Guillem est exposé dans ce jeu délicat et fascinant qui fait surgir sous nos yeux les moteurs qui président à la danse, tandis que les muscles qui se meuvent sous la peau rappellent la robe d’un cheval de course. Elle s’approprie avec un naturel confondant les mouvements du Kathak, leur conférant presque une dimension mystique dans sa façon d’aller à l’ultime du geste. Eployant son corps jusqu’au bout des doigts, des orteils, se courbant et se reprenant d’un coup magistral.

Duo, de William Forsythe fait la part belle à deux danseurs extraordinaires de sa compagnie, Brigel Gjoka et Riley Watts, que l’on avait déjà remarqués lors de la tournée d’adieu… de la Forsythe Company que nous avions déjà pu apprécier dans Study #3 l’automne dernier (lire ici )

Here & After, la création de Russel Maliphant, est un duo féminin –  le premier pour Sylvie Guillem – avec la danseuse de la Scala de Milan, Emanuela Montanari. Les mouvements sont beaux, trop beaux peut-être, et un peu vides, surtout si l’on fait abstraction des très esthétiques éclairages de Michael Hulls. Qu’importe, Sylvie Guillem y est éblouissante. Ses bras s’accrochent aux étoiles, délimitent un espace imaginaire qui n’en finit pas, tandis que portés et tours s’enroulent et se déroulent.

Bye, qui clôt cette soirée la fait au contraire apparaître fragile, comme si elle résumait dans ce dernier adieu tout son parcours. De la petite fille timide à la femme bravache, libre et têtue qu’elle est. Le jeu avec le miroir prend du coup une autre dimension, plus nostalgique, comme si elle signifiait le passage à autre chose, à une autre vie. La dernière sonate de Beethoven qui accompagne cette pièce lui donne cette simplicité déchirante, pour nous dire c’est fini, vous ne me verrez plus danser. Le dernier moment, où elle traverse ce miroir pour rejoindre une foule anonyme est poignant – en tout cas pour nous -  alors qu’elle lance un dernier regard au public, grave mais pas triste, presque amusée d’elle même : Bye ! Bye Sylvie et merci.

Agnès Izrine (photo Techne en home page© Bill Cooper)

Spectacle vu le 1er juillet 2015 aux Nuits de Fourvière

Pour finir en beauté, laissons lui les derniers mots de cet article :

« C’est à la suite d’un dérapage, tout à fait incontrôlé, que je parvins à exécuter, il y a 39 ans, la première révérence de ma carrière...

Toujours en retard pour les cours, c’était souvent en pleine course que nous, les petits rats de l’Opéra de Paris, devions impérativement saluer tous les danseurs de la Compagnie que nous croisions. Ce qui rendait la chose compliquée était que ces danseurs, personnages hiératiques et assez nonchalants dans leur certitude d’être importants, avaient cette façon de surgir crânement devant nous sans le moindre avertissement. Dans ce dédale compliqué de couloirs cirés par le temps et par les nombreuses glissades des générations précédentes, l’exercice devenait de plus en plus périlleux. Lancés à fond les manettes, nous devions opérer un freinage immédiat, en « position », devant les intéressés. A savoir : « bras tendus en formation en V vers le bas, les mains relevées sur les côtés, la jambe d’appui ébauchant une génuflexion, le pied de derrière pointé et appuyé sur la cheville de terre ». Nous tentions de fixer cette marque de respect, au moins une demi-seconde, avant de repartir en trottinant vers le prochain cours. Ces tentatives de politesses chorégraphiques qui défiaient les lois de l’équilibre n’étaient pas gracieuses, mais peu importait, c’était : « mission accomplie ! ».

Après 39 années « d’entraînement », j’ai décidé de faire ma dernière révérence... Sans glisser, cette fois.

Toute l’année 2015 sera un dernier tour des scènes que j’ai fréquentées, avec un nouveau spectacle, pour dire, avec gratitude et beaucoup d’émotion, « au revoir », en dansant deux créations et deux reprises : Akram Khan, Russell Maliphant, William Forsythe et Mats Ek.

J’ai tout aimé de ces 39 ans, chaque moment, et j’aime encore aujourd’hui de la même façon. Alors pourquoi ? Tout simplement parce que je souhaite arrêter heureuse en faisant ce que je fais, comme je l’ai toujours fait, avec passion et fierté.

Et puis, il y a quelque part, cet ami, un « agent » dormant à qui j’ai donné une licence to kill, au cas où un manque de lucidité me ferait traîner trop longtemps sur les planches... Et franchement, je préférerais lui éviter cette tâche !

Un début en dérapage incontrôlé, un voyage passionnant, un changement de cap réfléchi : une « Life in Progress »... Ma vie. »

Sylvie Guillem

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