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Sébastien Bertaud et Sandra Escudé

Sébastien Bertaud, sujet, et Sandra Escudé, sa ‘partenaire invitée’ sont les interprètes du duo central de Tombe, la création de Jérôme Bel pour le ballet de l’Opéra de Paris.

Le postulat était simple : un danseur du Ballet invite à collaborer avec lui, sur la scène de l’Opéra Garnier, quelqu’un qui n’y aurait jamais accès (voir critique). Choisi par Jérôme Bel après un casting « sur la base du volontariat », Sébastien Bertaud a ainsi vécu avec Sandra Escudé une expérience passionnante. « Tout a commencé il y a un an », se souvient-il. « Jérôme Bel a convié 80 danseurs, présélectionnés par la direction en fonction des contraintes de planning, et leur a exposé son projet. Cela a suscité un débat plutôt vif, certains estimant que c’était là un reniement, une dégradation de notre identité. En ce qui me concerne, je connaissais déjà le travail de Jérôme pour avoir vu plusieurs de ses pièces, notamment au Théâtre de la Ville. J’avais donc une certaine familiarité avec ses procédés et je pensais que c’était plutôt une chance d’avoir l’opportunité de travailler avec un artiste tel que lui. En outre, j’avais durant mes études réfléchi sur la question du handicap, de l’accès à la culture des publics empêchés, et de la représentation des corps dans l’espace public. »

En parallèle de son activité d’interprète, Sébastien Bertaud, qui est aussi l’un des quatre danseurs ‘maison’ en résidence au sein de l’Académie Chorégraphique créée par Benjamin Millepied, a en effet bouclé, il y a deux ans, un master d’expérimentation en Art et Politique à Sciences-Po Paris. Il fait donc partie des six danseurs finalement décidés à tenter l’aventure et se met en quête d’une partenaire. Seuls trois d’entre eux trouveront la personne idoine. « J’en ai parlé autour de moi », explique-t-il, « et j’ai commencé à réaliser combien le monde de la danse était cloisonné. Il n’y avait aucune connexion entre les interprètes valides et ceux en situation de handicap. Finalement, c’est une amie professeur de danse qui m’a mis en relation avec Sandra. »

A 27 ans, Sandra Escudé est interprète au sein de La Petite Compagnie, une troupe de danse contemporaine ‘inclusive’ - selon la dénomination anglo-saxonne -, qui réunit quatre danseurs porteurs ou non de handicap. Alors qu’elle a commencé la danse à l’âge de huit ans, elle est victime à 18 ans d’un grave accident qui conduit à l’amputation d’une de ses jambes. « J’avais alors dit adieu à la danse », raconte-t-elle, « jusqu’au moment où j’ai découvert lors d’un séjour aux USA qu’il existait des compagnies intégrant les corps handicapés. À mon retour en France, j’ai alors recommencé à danser, en rejoignant l’association Handidanse. »

L’un et l’autre commencent à répéter en mars 2015, à raison d’une ou deux séances par mois. « Nous avons travaillé dans des conditions exceptionnelles », se souvient Sébastien. « Le soir parfois jusqu’à très tard, après les services, seuls avec Jérôme. C’était une expérience artistique inédite, sans contrainte aucune et dans le dialogue. Nous voulions tous trois (avec Grégory Gaillard et Benjamin Pech) travailler sur « Giselle », un ballet iconique, la Mona Lisa de l’histoire de la danse. Sandra et moi avons alors choisi le Pas de deux du deuxième acte. Ça été un luxe inouï de pouvoir passer un an sur ces quelques minutes de danse, là où d’ordinaire nous répétons un ballet entier en quatre semaines. » Sébastien avait déjà dansé le rôle du prince Albrecht, l’amoureux de la paysanne Giselle, lors d’une tournée au Japon et dans plusieurs galas. Pour Sandra en revanche, c’est une double première. « Se retrouver sur la scène de l’Opéra est une impression incroyable », confie-t-elle encore émue. « Au début on se sent tout petit. Mais Jérôme et Sébastien m’ont mise en confiance et à chaque représentation, le trac diminue. »

S’inspirant de l’interprétation de Mikhaïl Baryshnikov et Natalia Makarova, Sébastien et Sandra décortiquent le moindre geste, la moindre intention. « Au millimètre », souligne Sébastien, « en contrôlant le moindre déplacement, notamment en fauteuil, et en veillant toujours à la musicalité. » Le résultat est d’une sincérité totale, émouvante dans son intention comme dans sa réalisation. Une bulle de grâce enchâssée au cœur d’un propos qui se veut dérangeant et subversif.

Pas sûr, pourtant, que les réactions de colère du public qui se font entendre certains soirs soient dues à la présence, sur la scène de Garnier, d’un corps différent tel que celui de Sandra. C’est plutôt la déconstruction à laquelle se livre d’emblée Jérôme Bel, dès le premier duo, qui provoque les cris ou les huées, du genre : « Mais de qui se moque-t-on ? Vous êtes en grève ? » Et ce beau duo, auquel Sébastien Bertaud apporte tout son talent et son respect, non seulement de sa partenaire mais aussi de l’histoire de la danse, aurait sans doute mérité un contexte plus apaisé, moins inutilement provocateur. « Il y a un décalage énorme entre l’état d’esprit dans lequel nous avons créé ce pas de deux et celui dans lequel il est accueilli par certains », soulignent Sébastien et Sandra. « Nous avons travaillé pendant un an dans une bulle de joie, de partage et de plaisir de danser, portés par la curiosité et l’envie de nous dépasser. Jérôme Bel a toujours un temps d’avance, et il nous a poussés l’un et l’autre à aller plus loin que nos frontières habituelles ou notre zone de confort. Heureusement, certains spectateurs ont été bouleversés et nous ont envoyé des messages très touchants. L ‘un deux a même écrit qu’il ne verrait jamais plus ensuite ‘Giselle’ de la même façon ».

Isabelle Calabre

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