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Roberto Castello aux Abbesses

Le titre est un peu long. Cherchez-le donc ci-dessous. Le spectacle est un choc. Cherchez-le à tout prix !

Au Théâtre des Abbesses, les Chantiers d’Europe, initiés par Emmanuel Demarcy-Motta, ont présenté un moment comme on les vit rarement, une surprise totale, à la fois esthétique et existentielle. Le titre de cette traversée ténébreuse  et burlesque a les dimensions de ceux de Robyn Rolin, mais il est écrit en latin : In girum imus nocte et consumimur igni. Traduit en français, il dévoile sa dimension dantesque : Nous tournons en rond dans la nuit, consumés par le feu.

Deux femmes et deux hommes, tout de noir vêtus. Courant, errant, se battant, mourant, se relevant, dansant sous des projections graphiques ressemblant à un véritable déluge, ils sont soumis au rythme infernal d’une boucle sonore aussi brève que répétitive, qui martèle son rythme du début à la fin, une heure durant. Ce carillon électronique et minimaliste incarne l’impitoyable dictature de la cadence, à laquelle les quatre énergumènes tentent parfois de s’opposer, sans jamais pouvoir s’y soustraire.

Courir pour aller où ?

Roberto Castello, cofondateur des célèbres Sosta Palmizi et formé par Carolyn Carlson, a écrit, avec les membres de sa compagnie ALDES, une métaphore universelle de la condition humaine. En tournant en rond dans la nuit, nos anti-héros marchent et courent, sans but apparent ou bien sans pouvoir l’atteindre. Sans doute courent-ils vers la mort, comme tout un chacun, en tombant (amoureux), en faisant la fête, en affrontant des horreurs. Les têtes basculent au rythme de du pas de course, en suivant le mouvement des bras, comme chez des vieillards qui ont perdu le contrôle de leurs membres. Ils font rire, mais derrière le burlesque se cache une dimension tragique qui remonte sans cesse à la surface.

Les tableaux s’enchaînent sur un rythme frénétique, laissant apparaître des lambeaux d’histoires ayant été déchirées et rassemblées dans le désordre. L’ambiance est ataviste et contemporaine à la fois, comme dans un film muet qu’on regarderait en accéléré, comme un Mossoux-Bonté 2.0. Entre mimes burlesques et personnages de récits fondateurs, c’est peut-être la dimension beckettienne qui l’emporte, comme pour une  version techno de May B de Maguy Marin. On songe aux Actes sans paroles de Beckett, et Castello de citer le cinéma de Bergman comme l’un de ses sources d’inspiration ainsi que, bien sûr, la peinture.

Noir/Jour

Toute aussi beckettiene, une voix off est aux commandes, mais n’en utilise que deux: « Dark/Light », comme si elle-même créait l’alternance entre le jour et la nuit. Sous des projections parfois tranchantes, parfois subliminales, également signées Roberto Castello, le chiaroscuro atteint un degré de perfection inouï. Et au début du spectacle, on se surprend à prendre les acteurs pour une projection vidéo.

Les interprètes font ici preuve d’une capacité à résister absolument stupéfiante. Totalement relâchés de l’intérieur, mais soumis à une épreuve d’endurance qui peut même épuiser le spectateur, ces mimes-athlètes représentent quatre héros absurdes de la condition humaine. Et on songe aussi aux tableaux perturbateurs des premières grandes pièces de Romeo Castellucci...

Recherche fondamentale

Aussi époustouflant soit-elle, cette recherche n’était au départ destinée à aucune diffusion, aucune finalité et ne représente aucune école. « Nous avons voulu nous faire plaisir, rien que ça », dit Roberto Castello. Et c’est sans doute la raison de l’intérêt fondamental de ce travail. Libre de toute contrainte, la compagnie s’est laissé prendre à son propre jeu. Le résultat dit tout de l’importance d’être un artiste non pas engagé mais dégagé (comme se définissait Desproges).

La dichotomie engagé/dégagé est par ailleurs purement rhétorique. De Marcel Marceau à Pina Bausch et autres Maguy Marin, le constat est sans appel: Seul l’engagement permet le dégagement et donc la recherche fondamentale. Et inversement: Quand la recherche est authentique, quand l’artiste s’oublie au profit de sa création, l’engagement revient par la porte arrière, comme l’ouest s’atteint en voyagent à l’est. A condition de tenir le cap comme cette compagnie qui trace ainsi sa route nocturne, se laissant consumer à petit feu.

Thomas Hahn

Spectacle vu le 23 mai 2018, Paris, Théâtre des Abbesses. A voir les 9 et 10 juin 2023 à 20h

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