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« Rencontres » de Julien Lestel

La dernière création de Julien Lestel, sobrement intitulée Rencontres, commence et s’achève avec son corps de ballet au complet – et « au plateau », comme on dit de nos jours.

Dans le laps d’une petite heure, les excellents interprètes convoqués, Eva Bégué, Titouan Bongini, Alexandra Cardinale, Florent Cazeneuve, Maxence Chippaux, Jean-Baptiste de Gimel, Roxane Katrun, Ingrid Le Breton, Inès Pagotto, Louis Plazer, Gilles Porte, Timothée Rouby, Mara Whittington, passent en revue en les stylisant les manières de s’assembler et de se désunir : la ronde, la déambulation, la troupe faisant face au public, les portés, les pas de deux et de trois, les accouplements en tous genres – homo, bi ou hétéronormés. Peu de saltations, peu de variations, quand on y repense, voire aucune.

Galerie photo © Ann Ray

Si le style chorégraphique reste classique ou néoclassique, si Julien Lestel se réfère volontiers à Jiří Kylián, Ohad Naharin et Crystal Pite, il n’en demeure pas moins que ce ballet témoigne aussi de notre époque. Ainsi, les thèmes musicaux postromantiques d’Ezio Bosso empruntent volontiers au minimalisme des années soixante-dix ; les tutus, les collants, les académiques ont été remisés au grenier au profit de tenues contemporaines agréables à voir et à porter ; l’usage d’effets visuels tels que l’accumulation ou le ralenti est bienvenu ; surtout, on a pu avoir la sensation, durant l’écoulement et a posteriori, que le chorégraphe s’est inspiré de la gestuelle du modern jazz. Cela a contribué à la fluidité d’ensemble de la pièce et a sublimé les duos – notamment celui de Gilles Porte avec Alexandra Cardinale.

Le titre, l’absence d’anecdote, le traitement polysémique du thème annoncé et de son contraire – la séparation –, le décor réduit aux rideaux noirs du théâtre, les beaux éclairages de Lo-Ammy Vaimatapako, tout cela donne un ballet quasiment abstrait, n’était la coloration sentimentale propre au thème de l’éternel amoureux. La succession des saynètes et des airs musicaux alternent les temps forts et d’autres plus faibles, au point de vue du tempo. Au finale, la troupe a glissé, mine de rien, du modern jazz au jazz tout court. La belle salle de Pleyel récemment restaurée a, de ce fait, renoué avec la musique afro-américaine qui y avait été célébrée après la Libération. Avec les concerts historiques de Louis Armstrong, Duke Ellington, Django Reinhardt, Art Tatum, Miles Davis… 

Galerie photo © Ann Ray

Le dernier moment chorégraphique du spectacle est remarquable. La danse illustre (ou est illustrée par) le standard d’Arthur Schwartz et Howard Dietz, Alone Together (1932), fox-trot qui faisait partie du musical de Broadway Flying Colors et qui a pu inspirer le tube New Orleans Petite fleur (1952) que Sidney Bechet dédia à Anne-Marie Palardy, pin-up immortalisée par Alberto Vargas et petit rat de cave germanopratine. La version orchestrale de cette chanson, superbement transformée par Chet Baker en blues bop clôt le ballet en beauté. 

Nicolas Villodre

Vu le 1er février 2024 Salle Pleyel.

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