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Ouverture de Montpellier Danse : Soirée Angelin Preljocaj

Angelin Preljocaj ouvre le festival Montpellier Danse avec trois œuvres (deux reprises et une création mondiale) qui jalonnent son parcours comme l’histoire de la danse contemporaine de ces trente et quelques dernières années, de 1989 à 2023.

Annonciation (1995) ouvre la soirée. Ce duo féminin ciselé qui reprend le thème de l’annonce faite à Marie de sa future grossesse par l’Ange Gabriel est un bijou où le sacré s’entrelace avec la sensualité la plus profane dans une ambivalence revendiquée. Inspiré par la peinture de la Renaissance italienne, notamment par l’Annonciation de Fra Angelico et surtout de Léonard de Vinci, mais aussi de Titien, ou par Le Cauchemar de Füssli, le chorégraphe joue avec les thèmes picturaux et les symboles religieux tout en donnant une réalité charnelle peu commune à ces deux protagonistes (remarquables Mirea Deloglu, l’Ange, et Verity Jacobsen, Marie). Les bras en croix et les évanouissements finis en pièta se succèdent, l’Ange à genou tend un bras mi-vengeur, mi-dominateur vers le ciel, tandis que Marie, jeune vierge un peu effrayée mais intéressée, se livre ensuite à son étreinte. Inquiétude, soumission, doute, la pièce joue sur la duplicité entre acceptation – en l’occurrence de son état de femme et future mère – et fuite car Marie, plus d’une fois essaie d’échapper à cette contingence impérieuse, présentée à la fois comme une violence et comme un abandon sensuel dont la torpeur finale annonce à merveille la création 2023 intitulée… Torpeur. Car dans une logique, peut-être involontaire, cette Annonciation annonce bien le programme qui suit, à savoir la sensualité réjouissante de Torpeur (2023), et la violence sexuelle de Noces (1989).

Galerie photo © Laurent Philippe 

Torpeur, création pour douze danseuses et danseurs s’élance sur une musique répétitive que n’aurait pas reniée une Lucinda Childs, mais dans un « process » sensiblement différent. Si la danse réitère certaines figures, notamment des tours d’une rapidité diabolique, c’est plutôt pour s’étoiler, prendre tout l’espace dans une sorte de sarabande joyeuse et un peu entêtée. Mais bientôt, le tout s’alentit, embrumant notre perception comme dans un voile de jour, le groupe s’enchevêtre dans un entrelacs de bras et jambes, de corps qui s’affaissent ou disparaissent en laissant place à une vision kaléïdoscopique et abstraite de ces mêmes corps qui « deviennent signes point quelqu’un ». Soudain, une pulsation parcourt les interprètes, comme envahis d’une fièvre voluptueuse et presque vaporeuse, tourbillonants, s’élevant dans les airs avec une frénésie troublante et effervescente dissolvant le temps avant d’ôter leurs vêtements pour finir en sous-vêtements presqu’invisibles. Halllucinée, orageuse, et brûlante plutôt qu’engourdie, Torpeur porte bien son nom, et renvoie plutôt aux nuits chaudes qu’à l’endormissement, à l’abandon qu’à l’abattement. Commencent alors des rondes assez académiques (couronnes, battements, et arabesques) et proches de celles de Gravité (lire notre critique) mais projetées au sol, qui terminent cette création très réussie (malgré la musique, qui semble au mieux incohérente mais a l’heur de plaire à un large public). Mais, comme le souligne Angelin Preljocaj dans sa note d’intention, la Torpeur n’est pas exempte de renoncement.

Galerie photo © Laurent Philippe 

Ce renoncement que l’on trouvait dans Annonciation, se retrouve également sous une forme plus tragique dans Noces, qui aborde la violence d’un mariage arrangé, mode balkanique (d’où sont issus les parents de Preljocaj). Ici, la sensualité s’absente au profit d’une célébration un peu barbare, où la femme n’est qu’une monnaie d’échange dans un monde d’hommes dûment cravatés. En ce sens, le chorégraphe se tient dans le droit fil de la pièce d’origine signée Bronislava Nijinska. La fin est d’une cruauté digne de Barbe-bleue. La gestuelle que le chorégraphe revendique « dans son jus de 1989 » reste marquée par l’époque de sa création : faussement inspirée d’un folklore slave, petits sauts des hommes, tournoiements des femmes, sauts finis obliques en « première » position, les cambrés, les portés alternés entre les femmes et les hommes… Et c’est bien car ça permet de définir (et pour certains de découvrir) le vocabulaire contemporain de cette « jeune danse française des années 80 ».

Galerie photo © Laurent Philippe 

Une belle soirée d’ouverture qui annonce avec brio le thème choisi par son directeur Jean-Paul Montanari, pour l’ensemble de ce 43e festival, à savoir, Mémoire et création, et de mesurer le passage du temps chez un même chorégraphe…

Agnès Izrine

Vu le 21 juin 2023, Corum, Festival Montpellier Danse

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