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« Music-hall Colette » de Cléo Sénia et Léna Bréban

Merveilleux spectacle que cette production de l’Espace des arts de Chalon-sur-Saône découverte il y a quelques jours in situ. Cette pièce, qui tombe pile au moment de la célébration de la naissance de Sidonie-Gabrielle Colette, simplement dite Colette, a emballé à la fois le public et la presse qui a assisté à la première.

La comédienne-chanteuse Cléo Sénia, qui assure le rôle-titre, mise en scène par Léna Bréban, a relevé le défi de résumer en une heure et quart la vie d’une femme qui se fit connaître par sa plume (sous le nom d’emprunt de Willy, celui de son premier époux), mais aussi par ses prestations scandaleuses sur scène et sa bisexualité affichée dans le civil. Le monologue co-écrit par les deux jeunes femmes devient dialogue entre la protagoniste et son avatar – son héroïne Claudine qui lui apporta fortune et gloire – par le truchement vidéo, et les effets prismatiques créés par Julien Dubois et Jean-Christophe Charles qui tiennent lieu de déco. Il a bien fallu aux autrices faire des choix, et donc écarter des épisodes d’une ascension sociale et d’une œuvre foisonnante. 

N’est pas soulignée l’importance, aux débuts de la carrière sur les planches, dès 1906, du mime Georges Wague qui, comme le reconnaît son « élève » dans La Vagabonde (1910) « a guidé sinon [ses] premiers pas, du moins [ses] premiers gestes sur la scène ». Le happy end du bioshow mentionne la libération de son troisième mari, Maurice Goudeket, qui avait pour tort d’être juif et avait été pris en 1941 dans la rafle dite des « notables », mais ne rappelle pas les conditions de cet événement et les interventions que dut faire Colette auprès de ses relations et collègues collabos. Si le saphisme est bel et bien évoqué, n’est pas remémoré la vie en communauté, le phalanstère ou gynécée de Passy où l’écrivaine réunit autour d’elle, lors de la première guerre mondiale, son deuxième mari, Henry de Jouvenel étant mobilisé, la journaliste Annie de Pène, l’actrice Marguerite Moreno et la plus grande star du cinéma français (avec Brigitte Bardot), la vamp Musidora chère à André Breton et à Louis Aragon.

Galerie photo © Julien Piffaut

Pour le reste, ce qui ressort de la soirée n’est que pur plaisir. Au début, Cléo Sénia roule les « r » à la Bourguignonne avant de s’adresser à l’audience en lui annonçant qu’elle cesserait de le faire, fort heureusement par la suite. Cet accent du terroir, gardé toute sa vie par Colette – estompé dans un de ses derniers entretiens filmés en 1953, un an avant sa mort – l’empêcha d’être comédienne et, ne sachant ni le chant ni la danse savante, se limita au mimodrame érotique et exotique. « Le music-hall, selon elle, c’est le métier de ceux qui n’en ont appris aucun. » Colette n’était ni progressiste politiquement, si on la compare à George Sand, ni féministe : la pièce relève d’ailleurs ses mots durs à propos des suffragettes. Cependant, elle souhaitait, comme Isadora, libérer le corps féminin : « Un seul renversement de mes reins ignorants de l’entrave ne suffit-il pas à insulter ces corps réduits par le long corset, appauvris par une mode qui les exige maigres ? »

Music-hall Colette nous a paru trop beau pour être vrai. Dans L’Envers du music-hall(1913), le ton de l’écrivaine est désabusé, son regard sur les coulisses est proche de celui de Zola dans Nana (1880). Elle écrit : « Côté artistes : des cases sordides, sans air, et l’escalier de fer aboutissant à des latrines immondes. » Cléo Sénia est somme toute plus pétillante, plus souriante, pour ne pas dire plus photogénique que son modèle. Elle enchaîne, avec un débit étourdissant, ses répliques ciselées, elle interprète avec justesse quatre charmantes chansons signées Hervé Devolder, elle danse en exhibant les tenues sexy d’Alice Touvet démarquées de celles de Mata-Hari, elle exécute une routine miroitante sans doute inspirée par Decouflé (cf. Codex et Iris) et le numéro de vaudeville ou de cabaret typiquement Belle Époque, « Half and half », les deux derniers tableaux, mis en lumière par Denis Karansky et Sébastien Sivade, chorégraphiés par Jean-Marc Hoolbecq jouant sur le double et sur le trouble.

Nicolas Villodre

Vu le 26 septembre 2023 à l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône.

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