Error message

The file could not be created.

« Locomoción Templar el templete » d’Israel Galván

Aux Abbesses, l’exceptionnel spectacle d’Israel Galván avec Ilona Astoul.

Ainsi que l’explique la formidable comédienne bilingue Ilona Astoul après le premier solo de Galván, temple et templar désignent tantôt les vocalises du cantaor lui permettant de s’accorder au tocaor avant d’entamer son air, tantôt le fait de tiédir (= tempérer) une boisson chaude telle que le chocolat porté à fusion à 45°, ou celui de ralentir, de faire du surplace en vélo. Pour Galván, templar s’applique au « mouvement préparatoire des bras chez le danseur.

D’autres acceptions sont encore possibles pour templar, comme calmer les esprits, mélanger deux choses pour en adoucir la sensation, préparer le faucon à la chasse en le privant de nourriture, régler la voilure d’une embarcation suivant la direction du vent ou bien celle de la tension d’un câble, diluer une couleur, ajuster le mouvement de la cape ou de la muleta lors de la corrida en fonction de la charge du taureau. En Amérique latine, templar peut vouloir dire exciter son partenaire ou l’apaiser via l’accouplement. Le substantif du titre, templete, se réfère au temple, au petit temple, à l’autel sur lequel les Andalous déposent pieusement images saintes, fétiches ou objets de valeur mais également au rond-point, au kiosque à musique, au pavillon, à un théâtre à colonnes comme celui des Abbesses dont la façade rappelle celle du saint des saints de la danse moderne, la Festspielhaus d’Hellerau. Templete désigne aussi la piste de danse improvisée en pleine rue durant des festivités – d’où l’introduction d’une marche de procession tambourinée par Antonio Moreno, de manchon, boa et autre truc en plumes comme chez Michou, de basse-continue à la gaita enrichie de notes de corne soufflées par Juan Jimenez Alba. Le templetepeut être considéré comme le sanctuaire du flamenco. La Locomoción du titre fait songerà la chanson de Gerry Goffin et Carole King,The Loco-Motion popularisée en 1962 par Little Eva. C’est le concept fou (on pense, précisément, au bailaor Félix Fernández García, surnommé Félix el Loco), plus ou moins flou, d’une danse flamenca contemporaine que n’a cessé de développer et approfondir Israel Galván et, d’une tout autre manière, Rocío Molina. 

Galerie photo © Laurent Philippe 

Sur la photo annonçant le show, affichée dans les couloirs du métropolitain, Israel Galván esquive un geste ambigu : s’agit-il du shoot d’un footballer sans ballon ou d’un coup de pied de l’âne sans façon et à tout hasard ? Cette dernière interprétation est d’autant plus vraisemblable que le bailaor entre en scène non (encore) chaussé de ses blanches bottines zébrées de noir mais de mules. Comme s’il était à la maison ou à l’hosto. Dans cette création visant à faire patienter les aficionados en attendant son retour sur la grande scène du Sarah Bernhardt restauré de frais (et, on imagine, à grands frais), il reprend les choses en main, si l’on peut dire, comme si de rien n’était. Ou presque. Il s’entoure de deux musiciens extrêmement talentueux, le batteur-percussionniste Antonio Moreno et le multi-instrumentiste Juan Jimenez Alba, saxophoniste et joueur, entre autres, de mirliton et de pipeau. Hors champ, opèrent ses fidèles ingénieurs du son, Pedro León et Félix Vázquez et son lumiériste Valentin Donaire. Intervient ici, par intermittence, la comédienne fluette et sans âge (entre les quinze et vingt-cinq ans, à vue d’œil) qui danse, chante, dit et lit sans pathos ni emphase des passages de La Métamorphose (1915) de Kafka et du Llanto por Ignacio Sánchez Mejías (1935) de Federico García Lorca.

Galerie photo © Laurent Philippe 

Le parcours du combattant n’est pas semé d’embûches mais d’agrès, de nouveaux supports, dancefloors ou templetes destinés à la danse. Ils sont ici réduits, en dimensions et en quantité, à un carré, à un cercle et à un cercle inscrit dans un carré. Faut-il rappeler que Galván ne s’entraîne pas à la barre dans des studios de danse mais dans des clubs de gym ? Sa suite gestuelle est exigeante, physiquement parlant. Pas seulement visuelle mais sonore. Il innove avec, cette fois, un plancher tout doux, matelas gonflable, trampoline lilliputien, qu’il parvient à faire sonner les pieds nus – qui contraste a priori avec les raclures amplifiées de souliers ferrés sur la chape métallique. Ce qu’il faut. Il innove avec la danse des mots de la fillette qui accompagne ou motive sa pure gesticulation. Il innove en dansant sur du free jazz, comme, jadis, le hoofer  Baby Laurence. Au finale, comme il se doit, il énumère les artistes qui l’ont, depuis ses débuts, inspiré : Vicente Escudero, Enrique El Cojo, Mario Maya, Carmen Amaya…

Nicolas Villodre

Vu le 15 février 2024 au Théâtre de la Ville/Les Abbesses.

Jusqu'au 24 février 2024

 
Catégories: 

Add new comment