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Etienne Béchard crée « ...Cupidon s’en fout » avec le Ballet du Rhin

...Cupidon s’en fout commence dans une ambiance nocturne, chargée de suspense. Etienne Béchard, chorégraphe d’Opinion Public, compagnie contemporaine installée en Belgique, réalise ici sa première création pour grand ensemble et se présente d’emblée comme un vieux routinier,  sachant parfaitement tirer parti des possibilités offertes, sans oublier d’amener la touche humoristique qui caractérise les créations de sa compagnie. Le Ballet de l’Opéra National du Rhin s’est par ailleurs trouvé « augmenté » en intégrant le quatuor qui constitue Opinion Public.

Au premier tableau, Cupidon se glisse dans les plis d’un très formel uniforme scolaire, dans tous les sens du terme. Chemises blanches, jupes ou shorts noirs, chaussettes blanches et cravates rayées: Dans sa rigueur, la tenue évoque une autre époque, par exemple celle de la pièce de théâtre Eveil de Printemps de Frank Wedekind, où des pré-adolescents découvrent les pouvoirs de Cupidon. Et puis, paradoxalement, ce tableau pourrait tout aussi bien parler de notre avenir. La coïncidence est troublante. Au moment-même où Etienne Béchard ouvre ainsi ...Cupidon s’en fout, pièce qui nous interroge sur les normes et l’uniformisation, un certain François (Fillon) brigue la succession d’un autre François (Hollande) en prônant notamment le retour à une tenue d’écolier.

Cupidon perturbateur

Pour mieux comprendre de quoi il en retourne, on lui recommande donc d’assister à ...Cupidon s’en fout à sa reprise en mars, à Colmar. Où il verra que la tenue réglementaire n’empêche en rien une guerre de boules de papier, péché mignon de désobéissance qui représente ici tous les débordements de l’adolescence. Cette vivacité, malgré des normes strictes imposées, est l’heureux paradoxe de la première partie, emplie de l’énergie rebelle de l’adolescence. La scénographie, en transformation permanente, n’est pas en reste. Sobre, géométrique, rigoureuse et pourtant légère, elle favorise une belle fluidité.

Nous sommes à l’école, dans les vestiaires ou en salle de classe où d’énormes cubes blancs figurent l’imposant mobilier qui structure les unissons chorégraphiques. Mais unisson ne signifie pas conformisme chorégraphique ! Au contraire, ce tableau d’école regorge d’inventions, entre portés et acrobaties, enrichies d’une touche burlesque. Il est tentant de faire la comparaison avec les tableaux en salle de classe dans Elektro Kif de Blanca Li, où les jeunes s’expriment de façon apparemment individuelle et libre. Ici comme là, l’unisson fait la loi, et on se rend compte que sous le déluge de coloration vestimentaire se cache une autre uniformisation.

Mais le pire des conformismes est celui qu’on accepte en échange d’un bulletin de salaire. Le conformisme des petits employés dans le grand business court après la perfection en tant que rouage dans un système tout puissant. On rentre dans le rang, en costard ou tailleur, et la danse change de registre, avec un vocabulaire plus classique et formel. Les contraintes prennent le dessus, les femmes évoluant toujours en chaussettes blanches mais sur demi-pointes, voire sur pointes.

Cupidon capoeïriste

Et pourtant, même ces clones aux visages impassibles vont se frotter au sol, réaliser des portés surprenants et surtout faire preuve, dans leurs voltiges circassiennes, d’une fluidité si étonnante qu’on les prendrait pour des capoeïristes, et non pour des danseurs classiques. Au premier tableau les femmes peuvent s’accrocher aux hommes par les pieds ou les épaules et tous peuvent travailler avec les cubes blancs comme s’il s’agissait d’agrès de cirque. Et puis, dans leurs bureaux fictifs, c’est le partenaire en tant que tel qui devient agrès, quand la rotation verticale remplace le grand jeté.

Dans ces deux tableaux, Béchard montre qu’il maîtrise à merveille ce formidable outil qu’est la troupe dirigée par Ivan Cavallari, troupe à laquelle il fait découvrir un univers acrobatique que les danseurs se sont approprié avec bonheur. Bien sûr, il procède comme tous les chorégraphes contemporains qui abordent un nombre de danseurs aussi important, mettant le corps de ballet au centre, évitant la complexité d’une création où les solistes se distinguent individuellement, par leurs personnages et leurs styles. Mais il trouve la parade, en faisant de l’uniformité le sujet de la pièce. On l’encouragerait juste à chercher aussi quelques véritables risques artistiques au lieu d’appliquer un système prédéfini. Dans ces deux tableaux Béchard donne l’impression d’arriver, tel un Bob Wilson, avec une esthétique si rodée qu’il lui suffit de puiser dans une boîte à outils très bien rangée. Cette capacité est certes impressionnante, d’autant plus qu’il s’agit d’une première collaboration à ce niveau. Mais les limites de l’exercice sont tout aussi évidentes. Wilson aussi, c’est du formatage.

Cupidon en retard

Reste la troisième partie qui se termine sur Brassens chantant son Cupidon s’en fout. Elle se déroule dans une maison de retraite où, avec la déchéance physique, arrive enfin l’âge où on pourrait reprendre sa liberté, où on peut s’assumer et s’amuser, Cupidon ou pas, à se foutre des normes comme Brassens en son époque. Et si la plupart préfèrent ici aussi l’unisson, Cupidon semble donner, au moins à un couple, la force de s’extirper de l’uniformisation. En fait, chacune des trois parties s’organise autour d’un couple. Est-ce le même, à différents stades de sa vie? La question reste ouverte, les interprètes n’étant pas les mêmes.

Béchard pose certaines questions essentielles: Qu’en est-il de la possibilité d’aimer dans un monde de plus en plus conformiste ? Qu’en est-il de la possibilité de s’inventer par la danse ? La flèche de Cupidon peut-elle encore atteindre Terpsichore ? Alors qu’il crée pour la première fois pour d’autres danseurs que ceux de sa compagnie, Béchard montre qu’il sait poser des questions pertinentes, à la société autant qu’à la danse. Son écriture est solide, précise, inspirée et Béchard un chorégraphe à suivre qui n’a plus qu’à s’arroger offensivement cette liberté qu’il côtoie au final.

 

Thomas Hahn

 

Spectacle vu le 20 novembre 2016 à l’Opéra de Strasbourg

En Tournée :

Samedi 4 mars 2017 à 20h et dimanche 5 mars à 15h: Colmar, Théâtre municipal

Au Tanzmatten : Jeudi 9 mars à Sélestat le à 20h30 et mercredi 5 avril 2017 à 20h30 à l’Espace Rohan

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