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Entretien : Claudia Miazzo et Jean-Paul Padovani

Claudia Miazzo et Jean-Paul Padovani présentent leur dernier opus Motus Anima le 11 mars dans le cadre de la Biennale de danse du Val-de-Marne.

Depuis la création il y a huit ans de leur compagnie Tango Ostinato, ils questionnent l’essence même du tango quitte à bousculer ses codes et ses normes. Cette nouvelle pièce est construite comme un polar avec des duos, trios et sextuor interprétés avec une remarquable maîtrise. Ils répondent à nos questions

Danser Canal Historique : Pourquoi avoir écrit un polar autour du tango ?

Claudia Miazzo : Parce que nous avions envie de mettre en scène plusieurs personnages autour de l’histoire d’un trésor convoité et de chercher quelles pouvaient être leurs attitudes face à cet objet qui passe de main en main. Le partage-t-on ou le garde-t-on pour soi ? Notre objectif était aussi d’imaginer comment chacun peut réagir face à cette substance de vie qu’est la danse.

DCH : C’est tiré d’un roman, d’un film ?

Claudia Miazzo : Non, il ne s’agit pas d’une adaptation, nous avons tout simplement tenté de dessiner les ambiances de David Lynch et d’Hitchcock

Jean-Paul Padovani : j’ai aussi pensé aux styles d’Andréï Tarkovski et de Malo. Ils expriment ce qui est profond et essentiel tout comme le tango qui déclenche une certaine forme d’addiction et de passion. Cette danse est empreinte de mystères, de clichés, du vrai et du faux. En conséquence nous voulions nous amuser avec tout cela. Mais nous nous sommes surtout inspirés du témoignage d’un couple très âgé que nous avons rencontré dans une maison de retraite. Ils nous ont a raconté qu’ils dansaient le tango toutes les nuits durant la guerre pendant le couvre-feu dans une église abandonnée. Donc ce plaisir et ce besoin de danser malgré tout nous a touché et interpellé.

Claudia Miazzo : C’est une histoire de vie et de mort, je danse et je vis et je dis merde à la guerre et à la mort. Cette idée nous accompagne depuis très longtemps.

DCH : Quelle en est l’histoire ? 

Claudia Miazzo : C’est un trafic de danse qui a lieu quelque part dans un lieu désaffecté. On sème le trouble afin d’entrer dans un genre où le spectateur hésite sur les identités des personnages et ce qu'ils recherchent. C'est lui le créateur de cette intrigue et nous y sommes très attachés. Cela nous fait penser à une personne qui, face à une œuvre d’art, constitue sa propre histoire. Car donner au public le choix d’être créateur est le plus beau cadeau que l’on puisse lui faire.

Jean-Paul Padovani : Chacun à tour de rôle devient le coupable d’un processus de transformation et de réinvention constante. L’idée est de démontrer que la danse est un matériau précieux et que le tango ne peut exister sans son instrument mythique, le bandonéon et surtout ce fameux double A, c'est-à-dire l’Alfred Arnold, le plus grand facteur de cet instrument. Finalement, le trafic est partout, dans la danse, la manière de jouer, la transmission orale et dans l’instrument que l’on se repasse.

DCH : La notion du double et du dédoublement semblent être la base de cette intrigue ?

Jean-Paul Padovani : Oui c’est exact, mais cela fait partie du milieu du tango. Une personne peut avoir une vie très banale dans la journée et se métamorphoser le soir lorsqu’elle va danser. Dans notre univers, ce fantasme de double vie touche nombre de personnes. Nous n’avons rien inventé, ça existe vraiment, nous le remarquons lorsque nous allons dans les bals. C’est génial, c’est une liberté. Il y a les gens qui veulent voler la danse de l’autre pour la reproduire, donc ça nous a enthousiasmé parce que c’est très courant.

Claudia Miazzo : Très souvent des gens nous suivent ou nous filment lorsque nous dansons. Ils semblent être face à un trésor qui leur parait inaccessible. Ces gens là veulent avoir ce truc là, comme si en le possédant, ils l’avaient enfin dans la peau. Nous nous sommes souvent trouvés face à des situations incroyables. Une fois, quelqu’un m’a dit : « je viens à Paris participer à votre stage, mais quand je vous vois je vous tue, parce que ça fait des années que j’essaie de faire comme vous et que je n’y arrive pas ». Mais il ne suffit pas de kidnapper la danse, il faut surtout la vivre.

DCH : Cette idée germe-t-elle en vous depuis longtemps ?

Claudia Miazzo : Oui, car la difficulté de cette danse, c’est le guidage. C'est-à-dire qu’il y a toujours un meneur et l’autre qui reçoit l’impulsion. La grande difficulté c’est que la qualité du guidage donnera la qualité de la réponse. En tant que danseuse si je n’ai pas une indication, je ne bouge pas, même si je connais par cœur la chorégraphie. Dans Motus Anima nous avons multiplié les obstacles par six puisqu’il y a six interprètes qui finissent par danser ensemble. Du coup, il est quasiment impossible de savoir qui envoie cette fameuse impulsion.

Jean-Paul Padovani : On reste dans un rapport où l’homme guide, mais on ne sait plus d’où vient l’énergie parce que nous la partageons. C’est donc un autre niveau de danse dont l’objectif est de semer le doute et de troubler.

DCH : Qu’est ce qui fait avancer le tango dans cette pièce ?

Jean-Paul Padovani : Le tango se danse toujours à deux. Nous avons recherché comment développer chorégraphiquement et techniquement une danse à trois, quatre et six. Mais l’idée de conserver la notion de risque est toujours présente. Pour maintenir le tango en vie, il faut bousculer certaines choses, pour certains ça peut être perçu comme une démolition et pour d’autres un espoir. Créer malgré tout est d’ailleurs un peu le thème de la pièce.

DCH : Les interprètes que vous avez choisis sont-ils tous des danseurs de tango à la base ?

Jean-Paul Padovani :   Plus de trois cents candidats et candidates se sont présentés à l’audition. Sophie Tellier, qui est aussi comédienne, est une danseuse de tango, les autres ont soit dansé dans notre précédente pièce, soit suivi une intense formation.

Claudia Miazzo : Nous avions envie d’un autre corps qui réponde à ce monde du tango mais aussi de danseurs qui puissent s’ouvrir à d’autres formes et improviser. Les professionnels du tango sont très performants, mais peu créatifs et uniquement obnubilés par la démonstration technique. Nous sommes ainsi partis sur d’autres bases suivant les personnalités de chacun. Cela nous a permis d’élaborer une chorégraphie très léchée, très écrite et très ouverte à toute proposition.

DCH : Il y a une très belle scène où Noemie Ettlin est initiée au tango, d’où vous est venue cette idée ?

Claudia Miazzo : Auparavant, elle a un solo de danse contemporaine et puis Philippe Lebhar la maintient afin qu’on lui enfile des escarpins à talons aiguilles. Elle doit donc réapprendre à marcher puis à danser. C’est l’image même de ces gens qui font tant d’effort pour discerner la marche, leur axe et c’est beau, c’est toute une vie, c’est la base du tango. Trouver la chose impossible, trouver un espace vivable pour deux. Comment je chasse l’autre pour lui donner la place et pour dialoguer.

DCH : Ce qui signifie qu’une danseuse professionnelle ne sait pas obligatoirement danser le tango ?

Claudia Miazzo :Il n’y a aucun lien avec la danse contemporaine. Le tango est la danse du centre, tout est séparé. L’une des danseuses a débuté en juin avec notre compagnie. Elle était en formation avec nous le jour et allait au bal la nuit. L’un et l’autre sont indissociables.

DCH  : Allez-vous également dans les bals ?

Jean-Paul Padovani : Oui, c’est indispensable.

Claudia Miazzo : Le bal est très important car au niveau de la fluidité de la danse on y apprend quelque chose de très particulier et surtout ça nous permet d’improviser.

DCH : Claudia, vous avez débuté par la danse classique puis rejoint le contemporain, combien de temps vous a-t-il fallu pour bien danser le tango ? 

Claudia Miazzo : J’ai mis un an pour avoir les bases et deux ans pour tout gérer. Ça dépend de ce que l’on veut. Un corps d'apparence tango ou vraiment goûter à l’essence du tango. Dans ce deuxième cas, c’est un entrainement de fond. Je travaillais dans la journée en danse contemporaine et rejoignais Jean-Paul le soir vers 18 heures et bien souvent il nous arrivait d’entendre chanter les oiseaux au petit matin. Aucun de nous ne s’était rendu compte que nous avions dansé toute la nuit. C’était très intéressant parce que j’ai vécu avec le tango un peu la même chose que lors de mon passage du classique au contemporain. C'est-à-dire un plongeon dans l’inconnu, mais ça permet que la danse reste toujours vivante.

Pourquoi le tango Jean-Paul ?

Jean-Paul Padovani : Je suis allé en argentine où on me disait tu ne parles pas bien notre langue mais ton corps parle tango. Ça reste un mystère pour moi. J’ai commencé tard, à 30 ans. Auparavant, je faisais de la musique, du luth (il en joue dans la pièce NDLR), de l’escrime et des arts martiaux. J’ai fini par faire une synthèse entre mes connaissances diverses et la danse.

DCH : L’homme est le guideur, mais la femme peut aussi inventer non ?

Claudia Miazzo :  L’homme est libre de faire ce qu’il veut étant donné que tous les mouvements de sa partenaire sont les conséquences d’une impulsion qui vient du torse du danseur et  va se propager jusqu’au bout des jambes de la danseuse. Elle ne peut effectuer aucun déplacement sans cette impulsion, sans cette connexion et une certaine façon d’avancer, de marcher.

Propos recueillis par Sophie Lesort

Motus Anima chorégraphie de Claudia Miazzo et Jean-Paul Padovani. Interprètes : Alexandre Bado, Jean-paul Padovani, Marjorie Hannoteaux, Noemie Ettlin, Philippe Lebhar, Sophie Tellier. Créations musicale Eduardo Garcia. Musiciens Bohdana Horecka, Eduardo Garcia, Jean-paul Padovani. Lumières Laurent Schneegans, costumes Rose-marie melka.

Tournée : le 11 mars à l’Auditorium J.-P. Miquel de Vincennes dans le cadre de la Biennale de danse du Val-de-marne ; le 19 mai La Pléiade, La Riche en collaboration avec le CCN de Tours et le 22 mai au théâtre de Châtillon

Exposition Les nuits argentiques de Jean-Paul Padovani jusqu’au 11 mars à l’Auditorium J.-P. Miquel de Vincennes

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