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Entretien avec Justine Berthillot et Mosi Espinoza

Justine Berthillot et Mosi Espinoza portent une aventure chorégraphique, acrobatique et théâtrale dans cette création sous-tendue par les luttes politiques, écologiques et sociales qui sont menées en Amazonie. Ils nous racontent la genèse de cette création hors norme, cet opéra-jungle singulier qui sera créé au Festival Transdanses de Chalon-sur-Saône du 21 au 25 novembre.

Danser Canal Historique : Quelle est la genèse de On ne fait pas de pacte avec les bêtes ?

Mosi Espinoza : J’ai toujours eu ce rêve d’inventer un projet singulier en Amazonie. Je suis Péruvien. Nous avons fait plusieurs voyages avec Justine. Après un premier voyage fondateur en 2020, nous sommes partis en Amazonie péruvienne pendant un mois en 2022, et à partir de cette collecte, nous avons créé en France une forme légère que nous sommes allés présenter là-bas, une tournée d’un mois autour d’Iquitos dans huit communautés différentes. Notre idée, alors, était de réaliser un film et c’est même le point de départ de ce projet.

Justine Berthillot : Pour monter cette tournée il nous a fallu un an de préparation, notamment avec des anthropologues péruviennes, afin qu’elles nous indiquent les communautés, leurs chefs, leurs lieux de vie. Nous avons partagé gratuitement les spectacles là-bas. Beaucoup de gens n’en avaient jamais vu.

Mosi Espinoza : Mais nous souhaitions également créer un espace où l’on puisse aussi entendre leur parole, et que ce soit accompagné de notre univers. 

Justine Berthillot : Nous avons filmé nos spectacles là-bas et interviewé les communautés. Ça donne des in-situ parfois loufoques. Mais ce film est une autre façon d’aborder la création, avec un prisme plus réel dans lequel on peut saisir notre démarche, les rencontres avec les habitants, leur rapport à la nature, à la spiritualité. A Transdanses ce film sera présenté dans le hall d’accueil en accès libre, couplé avec l’exposition photographique de Mosi. Nous nous sommes rendu compte qu’il était mieux de présenter à chaque fois le projet total quand nous le pouvions. Parce que ce sont des portes d’entrées différentes. Dans le spectacle nous avons choisi l’allusion, l’abstraction pour que ce ne soit pas trop didactique ou descriptif. Mais c’est un territoire que nous avons appris à connaître, et le film peut aider la compréhension, même au delà du spectacle.

Mosi Espinoza : Et donner un aperçu de ce vaste territoire qu’est l’Amazonie. Pour nous il est important de proposer cet axe, car cette parole fait partie de notre recherche.

DCH : Vous qualifiez cette création d’Opéra-Jungle, qu’entendez-vous par ce terme ?

Justine Berthillot : J’aime la fracture entre la sophistication, le raffinement de l’écriture très européenne, et puis cet espace essentiel, et je trouve que ça ressemble assez au spectacle fait de ruptures assumées. Nous tenions à rapprocher ces deux univers, les faire vivre ensemble, y compris dans nos sources d’inspiration. Ces références à Fitzcarraldo de Werner Herzog, et cet opéra improbable dans la jungle qui est le lieu de la représentation, cette folie esthétique et politique qu’incarnent les personnages et leur rapport à cette forêt, c’est un cirque de l’absurde, tragique et très actuel. C’est ce qui nous a fait rêver même si chacun ne le lira pas tel quel, mais symboliquement pour nous, cet espace serait celui où Fitzcarraldo a construit son opéra et où des gens continuent à habiter. 

DCH : Concrètement comment mêler cet aspect et ce qui se passe sur scène ?

Mosi Espinoza : Les références à Fitzcarraldo ou Aguirre la colère de Dieu, sont ce qu’elles sont mais il n’était pas question de faire une adaptation d’Herzog, donc c’est assez caché. Ça apparaît dans un de mes textes, mais aussi de façon circassienne, donc il y a des références qui se cachent un peu partout mais qui sont prises en charge soit par la scénographie, une forêt-opéra irréelle conçue par James Brandilly, soit par les textes que nous avons écrits, soit par le cirque, les prises de risque, les élévations, les jeux d’agrès aec des situations permettant de déployer nos corps de circassiens pour inventer des narrations en mouvement. C’est un voyage déréalisé qui assume le syncrétisme des langages, des univers, des temps. Mais le spectacle parle d’aujourd’hui.

Justine Berthillot : Toute la création est sous-tendue par cette idée de lutte, de résistance, de réappropriation dans notre énergie, ça fait exister un autre pan dans le spectacle, plutôt ça ressemble à un état du monde parmi lequel existent ces références. Mais c’est une métamorphose permanente.

DCH : Qui sont  les « bêtes » avec lesquelles on ne peut faire de pacte ? Nous ?

Justine Berthillot : Oui, notre bestialité. Il y a trois chapitres. L’un plutôt axé sur les fantômes de la colonisation, entend se moquer de cette folie mégalomaniaque de l’homme occidental qui piétine la nature avec sa culture et se prend pour un dieu. Le deuxième s’ancre dans ce que nous vivons, la destruction de la biodiversité et des forêts dont l’Amazonie est l’emblème. Le troisième est composé de deux courts solos qui tentent de donner une réponse à a ce que nous avons entendu là-bas. Et la nature se réveille. 

DCH : Quel est le décor que vous évoquiez ?

Mosi Espinoza : C’est beaucoup dans le symbolisme. Nous avons une statue intrigante, une pirogue pour faire référence à Aguirre et Fitzcarraldo, à l’arrivée de l’Europe et ses Conquistadores en Amazonie, un frigo, objet très européen, des rondins de bois, des machettes... Nous avons aussi une butte qui représente la terre et l’endroit mythologique des esprits de la forêt, les dieux des montagnes. Et ces éléments sont pensés de manière circassienne dans lesquels on peut évoluer. Raconter des choses avec nos corps et ces objets sur scène. Une toile de fond d’Opéra au fond repeinte à la mode péruvienne et des affiches que nous avons créées et imprimées au Pérou, pour confronter Europe et Amazonie.

Justine Berthillot : C’est un lieu irréel, hybride, lieu qui joue avec un certain onirisme.

DCH : Et musicalement ?

Justine Berthillot : C’est très éclectique ; On peut entendre des couches herzoguiennes avec de l’opéra et ces sons un peu terrifiants du film…

Mosi Espinoza : Et bien sûr, il y a une couche péruvienne avec de la cumbia et de l’électro cumbia, une danse dont nous nous sommes pas mal inspirés. Et puis nous avons imaginé un jeu de masques qui sont des représentations de colons, et se moquent des bals français, des espagnols qui dansent la valse française, c’est tout un travail chorégraphique

Justine Berthillot : Le père de Mosi est musicien et nous a enregistré, depuis le Pérou, les saxophones, queña, le reste est une composition originale avec les cris des animaux, la forêt, avec une sonorisation spatiale.

DCH : Peut-on y voir une continuité avec votre pièce précédente Notre forêt créée également à l’Espace des Arts ?

Justine Berthillot : Notre forêt était né du voyage fait avec Mosi, de cette première rencontre avec la forêt, et était un solo chorégraphique. Là notre propos s’est élargi. Et cette rencontre entre nous deux, en termes de registres, tient plus d’une épopée avec différentes émotions. Je suis plutôt sur un mode dramatique, Mosi est plus dans le burlesque, l’absurde, et ça contribue à l’imaginaire que développe ce spectacle.

DCH : Et pour conclure ?

Mosi Espinoza : j’ai l’impression de porter les paroles de l’Amazonie. Qu’il y a une sorte de sagesse que j’aimerais faire partager, qui nous accompagne, nous la portons avec nous.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Festival TransdansesEspace des Arts de Chalon-sur-Saône. Du 17 au 25 novembre 2023

 

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